Distance et proximité en classe virtuelle

Sophie, professeure de français en collège

Parole de juillet 2020, mise en texte avec Pierre

Lorsque je commençais une séance de classe virtuelle, les noms des élèves connectés s’affichaient sur mon écran. Je leur avais envoyé le lien sur la messagerie du logiciel « Pronote »[1]. Ils n’avaient plus qu’à rejoindre la session que j’avais moi-même ouverte et dont je maîtrisais les paramètres. Je n’ai jamais utilisé la fonction qui permet de voir les interlocuteurs à l’image. Dans une classe à distance, depuis mon domicile, activer la vidéo aurait eu pour effet d’incruster mon travail dans le décor de ma vie personnelle.

J’estime qu’il y aurait eu alors intrusion de la sphère professionnelle dans la sphère privée. J’aurais pu m’isoler mais j’ai besoin d’espace. Je me sentais bien dans la pièce de vie où mon compagnon et mes enfants pouvaient passer, sachant qu’eux-mêmes étaient en télétravail. J’ai donc voulu éviter la confusion entre le cadre professionnel et le cadre personnel. A partir du moment où j’ai exclu qu’il y ait échange d’images, les élèves n’ont pas pu utiliser la caméra, même entre eux.

En début de séance, j’attendais toujours cinq minutes pour que le maximum d’élèves soit là. Pendant ce temps, je les encourageais à chatter. Ils reprenaient contact, se donnaient des nouvelles. Ils étaient entre eux. Cela atténuait un peu l’effet d’isolement dû au confinement. Ils retrouvaient alors un peu l’effet de groupe même s’il n’y avait pas la possibilité de créer des îlots comme dans une classe réelle. Cela me permettait de voir qui était là et qui avait manqué le rendez-vous. Après coup, je pouvais contacter les absents pour savoir ce qu’il en était. Est-ce qu’ils n’avaient pas eu envie de participer ? Est-ce que c’était un problème de connexion ?

Auparavant, j’avais pu enregistrer des fichiers – un cours, des exercices, un texte – qu’ils avaient pu télécharger et imprimer. Pendant la classe virtuelle, il me suffisait de cliquer pour les afficher à l’écran. Ensuite, j’utilisais la fonction qui permet de donner la parole aux élèves : un petit personnage, sous le nom de tel ou tel élève, levait le bras sur mon écran. « Untel, on t’écoute ». L’élève concerné allumait alors son micro pour intervenir. La gestion du micro était la seule fonction à laquelle les élèves avaient accès. J’avais la maîtrise de tous les autres : donner le son, le chat, l’utilisation des fichiers. Pourtant, je me suis aperçue que j’avais oublié un paramètre lorsqu’un jour, j’ai vu que des élèves s’amusaient à tracer des traits sur le document que j’avais mis à l’écran. Une fonction leur permettait d’entrer dans le fichier pour écrire dessus.… Il a fallu que je supprime ce paramètre qui, en fait, n’aurait été utilisable qu’avec des petits groupes d’élèves et non dans le cadre d’une classe entière. Paramètre dont, de toute façon, je ne maîtrisais pas l’usage.

Dans une séance en classe réelle, je peux prévoir que je vais parler pendant vingt ou vingt-cinq minutes. Le reste du temps, je passe derrière les élèves pour les guider, les aider quand ils sont en îlots par exemple. Ne pouvant utiliser ce dispositif en classe virtuelle, il fallait combler. Je devais parler quasiment tout le temps même si, par moments, je coupais le son pendant une ou deux minutes, le temps qu’ils fassent un exercice. S’ils avaient une question à me poser, ils chattaient ou posaient directement la question sans avoir à demander la parole. À la fin, je pouvais contrôler tout au plus la réponse d’un ou deux élèves. En réalité, pendant le confinement, le but premier n’était pas de remplacer les cours en présence par des cours à distance. Il s’agissait de maintenir un lien, une relation sociale entre les élèves et l’école. L’important était d’entendre les élèves et qu’ils puissent nous entendre. En définitive, j’ai reproduit la configuration d’un cours où la parole était le media principal, et qui était encore plus magistrale que le cours en présence puisque je n’avais pas les moyens d’installer d’interactions.

Au fil des séances, je me suis rendu compte que certains élèves étaient touchés par le confinement : quelques uns étaient inquiets et anxieux. La classe virtuelle avait, pour eux, un côté anxiogène, parce qu’ils ne voyaient pas leurs interlocuteurs. En revanche, d’autres élèves sujets à la phobie scolaire – ou simplement en difficultés – ont pu tirer profit de cette situation. Le fait de ne pas sentir la présence directe des autres à côté d’eux faisait qu’ils répondaient aux questions même si leurs camarades les entendaient. C’est ainsi que quelques élèves se sont révélés : débarrassés d’une part de stress, ils se sont davantage autorisés à prendre la parole. En revanche, les très bons élèves se sont vite ennuyés, ils ont moins participé. Ils n’étaient pas dans leur élément. Quant aux décrocheurs, ils sont restés décrocheurs.

Lorsqu’il a été décidé que le confinement allait se prolonger, les chefs d’établissement ont fait un appel aux volontaires pour organiser du soutien dans différentes matières, sur les quatre niveaux, notamment en français et en mathématiques. J’ai proposé de faire six heures, pour neuf élèves de quatre classes de 3ème.  Ce n’était pas beaucoup, mais c’était voulu. Cela permettait que ces élèves puissent s’impliquer par la parole, répondre aux exercices. Au bout de la troisième heure, je me suis retrouvée avec quatre élèves qui ont été présents jusqu’au bout. Parmi eux, trois faisaient partie de la classe dont j’étais professeure principale. Le quatrième était un élève que je connaissais depuis la 5ème, qui n’était pas prévu dans le groupe et qui s’était invité à la demande de ses parents. Autrement dit, le soutien à distance, qui repose sur une relation individualisée, n’a fonctionné qu’avec les élèves qui me connaissaient déjà. J’étais pour eux autre chose qu’une voix anonyme. De plus, à distance, je ne peux pas parler cinq minutes avec un élève pendant que les autres attendent en assistant à notre échange. Cela veut dire qu’en pédagogie, la relation directe est essentielle.

Les classes virtuelles et les séances de soutien ont certes permis de prolonger une certaine proximité pédagogique dans la mesure où j’ai essayé de m’appuyer sur les séquences que j’avais commencées avant le confinement. J’ai alors travaillé les compétences telles que la lecture, l’orthographe, la syntaxe ; j’ai axé sur les outils de langue et de la compréhension plutôt que sur la rédaction qui, à distance aurait été difficile. Je ne prétends pas avoir maintenu une « continuité pédagogique ». Il faut comprendre que faire travailler des élèves à distance et faire cours à distance sont deux choses différentes. Gérer une véritable classe virtuelle aurait demandé de mobiliser les moyens multimédias qui permettent au professeur d’avoir accès aux écrans des élèves. Dans ce genre de configuration, qui existent dans les salles spécialisées des établissements, le professeur peut voir comment chaque élève s’y prend, repérer ceux qui ne savent pas comment faire des recherches sur internet. Il peut organiser des travaux d’expression écrite en binôme. Il peut alors corriger avec les élèves, au fur et à mesure, un texte qui reste toujours propre. Pour les classes virtuelles improvisées à l’occasion du confinement, nous n’avions ni les moyens ni les compétences.

En fait, personne ne savait gérer ce genre de classe-là! Alors que le ministre assurait que nous pouvions assurer des classes à distance,  la première difficulté, pour chacun, a été de mettre en route un dispositif auquel personne n’avait été formé. Il a fallu aller sur le site du collège. J’étais perdue… Heureusement, à la maison, mon compagnon était là, et, au collège, le collègue référent TICE nous a bien guidés. C’est grâce à lui que l’ensemble des collègues qui le voulaient ont eu recours aux classes virtuelles. Après deux semaines, chaque professeur s’inscrivait sur un planning mis en place par ce collègue ressource. Cela a été vécu comme une facilité d’organisation et non comme un moyen de contrôle. Par ailleurs, l’établissement a répertorié, par l’intermédiaire des professeurs principaux, tous les élèves qui pouvaient rencontrer des difficultés pour se connecter. Le collège a alors prêté la dizaine d’ordinateurs portables qui sont habituellement mis à la disposition des élèves. Malgré cela, certains n’avaient pas de connexion internet. Pour ces élèves, les devoirs écrits étaient envoyés par courrier au principal ou au principal adjoint qui les déposaient dans une boite aux lettres au supermarché proche du collège. Quand ils faisaient leurs courses, les parents allaient retirer les devoirs de leurs enfants qui venaient les rendre soit au collège, soit dans la boite du supermarché. Parmi mes élèves, dix étaient concernés. Ce système a fonctionné pour sept d’entre eux. Les trois autres étaient des décrocheurs. Il ne faut pas rêver, on n’a pas raccroché ceux qui ne voulaient pas être là. Ni par ce système d’enveloppes ni par les classes virtuelles.

Je note que la collaboration avec le coordinateur a été un point positif. Il est aussi arrivé fréquemment qu’entre profs, on s’envoie le message de rendez-vous que nous adressions aux élèves. C’était une invitation à assister à la classe, une occasion de vaincre une certaine réticence à voir des collègues entrer dans notre propre cours. Comme dans le cas les élèves en difficultés, c’était plus facile dans la mesure où l’image était coupée. Je me souviens particulièrement d’un cours sur Les Misérables auquel j’avais invité une collègue. Elle n’arrivait pas à maintenir sa connexion. Ça nous faisait rire « On a encore perdu Mme M , je ne sais pas où elle est passée… » C’était sympa… Ceci a permis de montrer aux élèves, pendant cette période particulière, la cohésion qui existe entre les professeurs qu’ils voient habituellement se croiser dans les couloirs. On s’est alors plus facilement donné des conseils entre collègues qui partageaient la même galère. Finalement, malgré les difficultés, quasiment tout le monde, chacun à son rythme, a fonctionné en classe virtuelle.
On est ainsi restés proches des élèves et proches entre professeurs. C’est un beau paradoxe : la mise à distance a permis, d’une certaine façon, plus de proximité.

Parole de Sophie, juillet 2020, mise en texte avec Pierre

[1] PRONOTE est un logiciel destiné à tous les membres de la communauté éducative : administration, enseignants, élèves, parents. Il concerne tous les aspects de la vie scolaire : cahier de textes, compétences, notes, absences, sanctions, QCM, infirmerie, stages, messagerie interne, casier numérique, application mobile, etc.

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