“En télétravail, quand je ne suis pas motivé, je n’ai pas l’énergie collective pour venir à ma rescousse”

Camille, ingénieur dans une installation nucléaire

Parole du 3 juillet 2020, mise en texte avec Roxane

Je suis ingénieur travaux et à ce titre, je participe aux opérations d’assainissements de démantèlements d’un réacteur graphite gaz (ancienne génération), sur les phases de cadrage de besoin, de consultation et de suivi des entreprises. Comme tout démantèlement, cela doit se faire en respectant les règles du code du travail et du code de la santé publique. Mais en plus, la problématique radiologique accentue les obligations et la minutie du suivi des différents chantiers.

Je travaille au sein d’une équipe d’une trentaine de personnes, qui conjugue des compétences diverses. Mon métier commence par une phase de cadrage avec rédaction d’un cahier des charges prescriptif. Je participe à la phase de consultation des entreprises de notre catalogue. Puis je fais le choix  en fonction du dépouillement des offres techniques dans un premier temps, puis financières au final,  à travers des négociations technico-commerciales avec les acheteurs. Je fais ensuite la surveillance de la phase études. Puis une fois le projet validé, les titulaires arrivent sur le site. Je les accompagne et j’ai en charge la surveillance du chantier : respect des règles de sécurité, des processus présentés en phase étude, etc.

En exemple, ce que j’ai eu à faire récemment, c’est le démantèlement d’une cuve qui avait contenu du sable servant à traiter les eaux de piscine. Ce sable fortement contaminé avait été évacué, certes, mais la cuve restait contaminée. La problématique était d’accéder d’abord à cette cuve de trois mètres de haut sur trois de large, logée dans une casemate aveugle. Il a fallu démolir un mur pour y accéder. Pour éviter tout risque de dispersion de contamination, tout se fait dans des sas. On confine avec des structures rigides. Ce chantier s’est fini juste avant le confinement.

Le 16 mars, lors du début du confinement, j’étais en phase études pour trois nouvelles affaires. J’avais donc un travail de documentation et de relecture des projets des nouveaux chantiers. Donc du travail sur ordinateur.

J’ai déplacé mon PC portable à la maison, ordinateur sur lequel je peux me connecter à distance à notre réseau d’entreprise, avec tous les logiciels nécessaires. Ma compagne, aussi en télétravail, a fait de même. Habitant en centre-ville, nous avons de très bonnes connexions internet. Pendant cette période-là je suis passé à 80 % de travail. Je ne travaillais que quatre jours sur cinq pour pouvoir accompagner ma maman en fin de vie.

À la maison, dans un espace très restreint, un grand salon et la chambre de notre enfant, nous étions trois en télétravail, ma femme, ma petite fille avec l’enseignement à distance et moi-même. On n’avait pas d’imprimante et il a fallu nous en équiper d’une, en urgence. Notre fille de cinq ans préférait, bien sûr, être avec nous plutôt que dans sa chambre. Trois dans la même pièce ! Moi je devais faire pas mal de réunions. Ma femme aussi. Parce que les bandes réseau nationales étaient en surcharge, mon entreprise a décidé de faire des conférences audio uniquement, via nos applications de communication interne.  A la maison, chacun de nous parlait, avec des casques main libre heureusement. Il nous a fallu installer un rythme de travail régulier pour notre fille, avec une pause à midi et un arrêt obligé le soir à 18 h – 18 h30. Dans ces journées on découpait quelques heures pour enseigner auprès de notre petite fille, via les documents et liens envoyés par l’école primaire. On était sur plusieurs fronts.  Ma compagne avait planifié ses entretiens téléphoniques quand notre fille faisait la sieste. Au début, elle dormait l’après-midi. Puis très vite, elle ne voulait plus. Elle disait « je suis reposée. » il a fallu s’adapter, elle était mieux avec nous et n’avait plus d’activités où se dépenser. Nous sortions vraiment peu. Fin avril, encore en confinement, malgré les interdictions, nous avons déménagé avec un mois de décalage. Et là nous avons eu un peu plus d’espace. Je m’enfermais dans la cuisine et ma compagne dans le salon. Notre fille, vaquait entre nous deux et sa chambre. On pouvait ainsi plus aisément se « refiler » notre petite, quand le besoin se faisait sentir. On a vraiment fait comme on a pu. Il a fallu attendre le 22 juin, loin derrière le dé-confinement, qu’elle reprenne l’école, pour travailler dans de meilleures conditions. On s’est senti libres, ne serait-ce que pour les repas où nous faisions à notre guise. Depuis mercredi notre fille est en vacances chez sa grand-mère. Nous avons encore moins de contraintes horaires.

En ce début juillet, je suis encore en télétravail, puisque je suis toujours en phase études. Les consignes de nos entreprises sont de limiter les personnes sur site. Les perspectives c’est de remonter petit à petit en puissance sur site : 75 % des effectifs d’avant le confinement.

À la mi-août quand je reviendrai de congé, mes chantiers vont redémarrer avec un embouteillage prévisible entre ceux qui, après la phase d’études, vont devenir opérationnels et ceux qui s’étaient arrêtés. En septembre j’ai deux chantiers qui démarrent en même temps. Ce qui fait que j’ai un surcroît d’activité pour les deux prochaines semaines, et dans des conditions moyennes. 

Certes le télétravail supprime deux heures de trajet par jour. Je travaille à mon rythme, mais avec une moins bonne installation informatique, car sur site j’ai deux écrans. Il y a du bon et du mauvais. Le jour où je ne suis pas motivé, je n’ai pas l’énergie collective pour venir à la rescousse. Ça m’est dur de me remotiver seul. Envoyer un mail à quelqu’un est fort différent que de lui parler de vive voix et le voir directement dans le bureau d’à côté. On n’a pas le même ressenti. La réponse à une question écrite est souvent juste une phrase. Alors qu’à l’oral, on discute… Plusieurs réponses se construisent collectivement. Comme dans toute négociation, il est toujours très constructif d’avoir plusieurs points de vue. De plus, ma présence physique est indispensable sur les chantiers. Donc 100% en télétravail est impossible et même si je pouvais le faire je ne le ferais pas. J’espère cependant au vu de ce qui s’est passé avec le confinement, que le télétravail sera plus facilement accepté par ma hiérarchie, un télétravail aménagé. J’aimerais bien faire un à deux jours par semaine, pas plus. Ma compagne le pense aussi. En ce qui me concerne je ne pense pas manquer de travail. En France, de 58 réacteurs nucléaires on est passé à 56 réacteurs en fonctionnement depuis l’arrêt de la centrale de Fessenheim . Neuf réacteurs plus anciens sont en cours de démantèlement. On estime qu’il faut environ trente ans de l’arrêt du réacteur à la remise en état initial du site. J’ai de la marge !

Texte de Camille co-écrit avec  Roxane 

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