« Aller là où l’on a besoin de nous ! »

Julie, Infirmière – Service des urgences pédiatriques, APHP

Parole recueillie le 7 mai 2021, mise en texte par François

Je suis infirmière aux Urgences pédiatriques depuis quatre ans. C’est mon premier poste. Nous avons encore la chance de pouvoir choisir notre affectation. Très tôt, durant ma formation, j’ai su que j’avais envie de travailler dans ce type de service, j’ai senti que cela pourrait me plaire, d’être auprès de petits et de leurs familles. Les parents ne viennent pas aux urgences par plaisir. Certains affirment que beaucoup de familles ne devraient pas y venir, qu’ils sont là “pour rien”. Moi, je ne suis pas d’accord avec cela, même s’il est vrai que certaines personnes en abusent. Nous accueillons surtout des parents perdus, angoissés, avec une réelle inquiétude, fondée ou non c’est un autre débat, et nous devons prendre en compte cette inquiétude.

Aux urgences, nous avons l’habitude d’expliquer aux jeunes médecins qu’ici leur rôle, ce n’est pas de poser un diagnostic mais de savoir si l’enfant doit rester ici ou s’il peut rentrer chez lui. Nous sommes là pour porter un premier diagnostic et répondre à l’angoisse des parents. Cela est compliqué pour un jeune médecin, à qui on a toujours appris à avoir une réponse, d’admettre qu’ici ce n’est pas notre priorité. C’est tout autant compliqué à entendre pour un parent. Nous sommes donc surtout la porte d’entrée à l’hôpital et l’unité de soins des petits et grands bobos. Nous accueillons une large variété de patients, depuis des nourrissons qui viennent de naître jusqu’à des adolescents de quinze ans qui ont souvent des pathologies d’adultes. Cela implique des prises en charge très différentes même si, sur le long terme, nous traitons des affections récurrentes.

Personnel soignant – Photo Jérémy Chanchou

Ici, notre équipe réunit une cinquantaine d’infirmières et une vingtaine d’aides-soignantes ou auxiliaires de puériculture. Nous tournons sur douze heures. Je suis donc parfois de jour et parfois de nuit. Chaque année, je dois faire six mois de nuit. Cependant, je ne peux pas les faire d’affilée. Nous élaborons les plannings entre nous, cela fonctionne assez bien, on se concerte avec parfois certaines tensions… En fait, nous sommes en autorégulation, avec l’encadrement qui veille au grain. D’autres hôpitaux ont établi des règles, des plannings avec des alternances « jour – nuit » tous les deux ou trois mois… Il existe autant de modes de fonctionnement que de services. 

Quand un patient arrive, après les formalités administratives effectuées par une aide-soignante ou auxiliaire de puériculture, il est reçu par une infirmière qui prend les constantes, observe l’enfant, écoute les faits et va définir le degré d’urgence. Cette dernière détermine, du moins dans un monde idéal, le temps d’attente. Cependant, si le patient arrive en urgence vitale, il va être orienté vers un box de déchocage qui permet une prise en charge immédiate afin de le stabiliser le plus rapidement possible. Cela arrive, mais il ne faut pas dire que nous recevons uniquement des cas gravissimes. Par contre, il faut être vigilant pour identifier des situations où la santé d’un enfant peut se dégrader. La pédiatrie, au-delà des décors colorés, des comptines, des bulles, des dessins animés et autres distractions reste une spécialité très difficile. Les enfants ont une capacité extraordinaire à compenser leurs pathologies jusqu’au moment où leur état devient gravissime. Parfois un enfant arrive en jouant en salle d’attente, deux heures plus tard il peut nécessiter une prise en charge en soins continus car son état s’est dégradé très rapidement. Faire patienter certains dont l’état permet une prise en charge dans les trois ou quatre heures, peut s’avérer dangereux. C’est ce qui rend la position de l’infirmière d’accueil très complexe et très stressante, il faut aller vite et rester vigilante en permanence.

Médecin et infirmier en pédiatrie

Une fois passée l’étape de l’accueil, l’enfant est orienté selon son degré d’urgence, dans une des filières : médecine, chirurgie orthopédique (trauma et plaies des membres…), chirurgie viscérale, traumatisme abdominal, appendicite…), chirurgie maxillo-faciale (plaie et trauma de la face…), chirurgie ORL (corps étranger dans l’œsophage, le nez…). C’est alors qu’il sera examiné par un médecin, ou par un chirurgien selon la filière.

L’équipe comprend une infirmière de traumatologie qui aide tous les internes de chirurgie. Trois à quatre infirmières sont en responsabilité du flux des patients en médecine qui représentent 70-80% des consultations. Il s’agit d’assurer les différentes analyses : sang, urines… mais aussi la réalisation de tous les soins. Enfin, une ou deux infirmières assurent les hospitalisations de courte durée. C’est elles qui vont prendre en charge un enfant qui nécessite un suivi de quelques heures avant qu’il puisse rentrer chez lui ou doive être hospitalisé. C’est le cas par exemple d’une gastro avec une déshydratation.

Ici, nous tournons sur l’ensemble des postes infirmiers, mis à part le poste d’accueil où il y a une formation qui débute après six mois d’ancienneté. Ce mode d’organisation est très intéressant, très formateur, très stimulant. Nous acquérons ainsi une vision d’ensemble du service, ce qui contribue à être toujours dans l’anticipation et la prévention d’une éventuelle dégradation de l’état de santé des enfants. C’est ce sens clinique qui est très important aux urgences et qui devient la base de notre métier.

Photo Jérémy Chanchou

Mais cela ne me fait pas oublier que j’en ai marre de devoir me battre pour effectuer un travail correct, me battre contre une machine tellement plus grosse que nous. Alors que ce que je demande c’est juste de pouvoir effectuer mon travail correctement. En comparaison avec d’autres services, les urgences pédiatriques ne sont pas les plus à plaindre. Quand il s’agit d’enfants, les moyens sont plus conséquents. Ici nous ne laisserons jamais une personne sur un brancard durant plusieurs jours comme cela a été constaté dans d’autres urgences. Enfin pour l’instant… Nous vivons de plus en plus des crises, et même chez les enfants les moyens commencent à manquer. Fin 2020, nous avons dû faire face à de nombreuses bronchiolites. Nous avons manqué de lits dans toute l’Ile de France, avec des arrivées d’enfants avec de grosses crises d’asthme, sous Ventoline continue, des bébés qui n’arrivaient plus à respirer sans oxygène… Nous attendions des sorties dans les services, que ce soit vers la maison ou vers la réanimation car l’enfant allait moins bien. C’était horrible. On en était à attendre un arrêt cardiaque pour éviter qu’un enfant soit transféré dans un hôpital hors d’Ile de France, avec les risques liés à un long transfert en ambulance. Finalement vingt-deux enfants ont été transférés loin de chez eux : Amiens, Rouen, Beauvais…

Nous nous battons contre un système qui est plus gros que nous, qui est opaque. Quand nous faisons remonter ces problèmes, nos cadres n’obtiennent pas de réponses. Cela a été le cas récemment quand nous avons vu notre organisation modifiée : deux collègues aides-soignantes ont été déplacées du flux vers l’accueil, deux collègues en moins pour réaliser les soins techniques à quatre mains, soins si importants en pédiatrie. Pourtant les effectifs n’ont pas suivi, et aujourd’hui cela génère des tensions au sein de l’équipe paramédicale. 

Notre activité est soumise à des variations tant dans la journée que sur l’année. Ainsi, nous enregistrons un plus grand nombre d’entrées en fin d’après-midi au retour des écoles pour la prise en charge de bobos notamment. Puis, en première partie de nuit, avec des parents qui arrivent inquiets car ils ont observé des symptômes qui les alarment. De deux à six heures du matin, l’activité se réduit significativement, ou du moins le nombre d’entrées aux Urgences, mais pour nous, il faut alors rattraper les retards accumulés durant la journée. Même si personne ne s’inscrit à quatre heures du matin, le patient arrivé à minuit quand il y a six heures d’attente est toujours dans la salle d’attente. Sur une année, quand les enfants sont en vacances scolaires, nous observons moins d’entrées. Les familles quittent Paris, les enfants ne sont pas en collectivité, les microbes circulent moins… L’un dans l’autre, nous pouvons devoir faire face à des pics de 300 admissions sur une journée de novembre à moins de 100 en plein mois d’août. Durant le confinement de mars – avril 2020, nous avons eu des journées avec 50 entrées.

photo Jérémy Chanchou

C’est d’ailleurs à ce moment que j’entendais mes amis me raconter que les hôpitaux intubaient à tour de bras avec des services qui débordaient toujours plus. Ils étaient submergés ; pourtant, chez nous c’était le calme plat et nos directions freinaient pour ne pas nous déployer où nous pouvions aider alors même que nous étions volontaires. Avec une collègue, après deux semaines à demander cela et un énième appel au secours de M. Hirsch, nous en avons eu assez et nous avons dit : « Stop ! On va aller là où l’on a besoin de nous ! ». Il n’était pas possible que je reste à m’ennuyer alors que nous étions en quasi surnombre et que des collègues étaient au bout du rouleau ou gravement atteints par le virus. Nous avons eu enfin gain de cause, une dizaine d’infirmières et d’aides-soignantes sont allées dans d’autres services. Concrètement, pour être affectées dans un autre hôpital, pour armer des lits, c’est-à-dire les doter d’infirmières pour s’occuper des malades, cela a été le parcours du combattant. Les blocages ici étaient insupportables. Aussi, au bout de quelques jours, nous avons interpellé Martin Hirsch, le DG de l’APHP. 

C’est ainsi que je me suis retrouvée dans un autre hôpital, en réanimation adulte. Ces semaines ont été difficiles, instables. Tout autour de moi était différent : nouvelle équipe, nouveaux locaux, nouveaux médicaments, nouveaux matériels, nouveaux patients, maladie qu’on ne connaît pas… Je me souviens avoir été satisfaite de ne pas avoir « perdu mon diplôme » et de ne pas avoir tué de patients. C’était très compliqué à gérer, surtout avec un confinement où l’on était coupé de nos amis et notre famille. Mais avec le recul, il y a une sorte de satisfaction et de fierté à avoir traversé ça, cela a été une vraie opportunité professionnelle : devoir affronter une pandémie mondiale, avec des médecins qui connaissent leur métier, mais découvrent une maladie pas à pas. Il fallait gérer les incertitudes au jour le jour en étant confronté à des choix parfois terribles. Durant ces mois, nous avons priorisé les gestes techniques et perdu de vue les dimensions éthiques : qu’en était-il du bien être des patients ? Certains sont morts sans avoir vu un proche. Parfois le Covid a bon dos, il justifie à lui seul les situations dramatiques. En réalité, nous avons plus géré une pénurie qu’autre chose. Or cela était évitable si les soignants avaient été écoutés, car nous dénoncions la situation sanitaire dégradée depuis un an.

A la fin du confinement, les urgences ont retrouvé leur activité. J’ai dû à nouveau me battre pour rejoindre mes collègues car le service souhaitait me garder : la crise sanitaire n’était pas terminée pour tout le monde.

Photo Jérémy Chanchou

Lors de la pandémie, une omerta a masqué la réalité de l’activité des services au quotidien et donc aussi des dysfonctionnements. La grande majorité des infirmières se sont interdit d’évoquer cela. Elles ont mis en avant leur devoir de réserve et ont, de fait, réactivé la relation historique de dépendance vis-à-vis des autorités médicales. En confrontant nos témoignages dans le collectif Inter-urgences, nous avons pu constater le caractère récurrent de nos observations personnelles. Il ne s’agissait pas de cas circonscrits à tel ou tel hôpital mais de problèmes bien plus profonds : non traités depuis des années, voire régulièrement niés. A mes yeux, quand je compare la situation professionnelle actuelle des infirmières françaises avec celle des infirmières des pays nordiques ou du Canada, l’écart est conséquent, même si chez eux non plus tout n’est pas parfait. Les infirmières ont à prendre part aux recherches, à l’amélioration de la qualité d’accueil des patients… Pour progresser, notre système de soins a besoin des contributions de tous. Par exemple, l’accès aux études après la licence infirmière (master, doctorat) reste sous-développé et c’est un parcours du combattant pour celles qui s’y lancent.

L’hôpital pour nous, c’est notre quotidien ; pour le patient, c’est l’évènement de leur vie. Dans notre travail au jour le jour, dans notre activité très dégradée, sous la pression, avec la fatigue accumulée, nous sommes trop souvent conduits à taire ce qui est contraire à notre éthique. Ce silence, les directions en jouent car cela leur permet de laisser perdurer des situations inacceptables. Or, en parler entre nous, c’est constater la généralité de ces faits, c’est la force du collectif et c’est fascinant.

Récit recueilli le 7 mai 2021, mis en texte par François

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