L’hôpital coule, coule doucement

Charlie, Secrétaire médicale dans un hôpital pour enfants

Parole du 28 mai 2021, mise en texte par François

Être secrétaire médicale dans un hôpital intégralement dédié aux enfants implique d’accueillir non seulement nos petits patients mais aussi leurs parents. Bien souvent ceux-ci sont angoissés et il faut donc d’abord se montrer calme et rassurante. 

Je suis secrétaire médicale depuis neuf ans. J’ai intégré l’APHP en 2012. J’ai été affecté au service de chirurgie spécialité « Oncologie ». J’y ai travaillé six ans. Le service des explorations fonctionnelles est mon second poste. Ici, nous réalisons des examens de toute sorte : cardiovasculaires, neurologiques, respiratoires….

En 2017, j’ai réussi le concours et suis donc titulaire de la Fonction publique hospitalière. Avant cela, j’ai suivi un cursus universitaire en sciences du langage avec comme projet d’être interprète. Après mon Master 1, je me suis réorientée vers le métier de secrétaire médicale et ai pu y apporter mes compétences en Langue des Signes Française. A présent, au sein de l’hôpital, j’interviens de temps à autre auprès de parents ou d’enfants sourds. Je traduis dans la langue des signes les questions des familles, j’explique les soins qui vont être engagés par les équipes de soignants, cela contribue au bien-être des enfants et de leurs parents et à faire la liaison avec le personnel soignant.

La première activité d’une secrétaire médicale, c’est la frappe de toutes sortes de comptes-rendus de consultation, d’opération, de suivi de soins… Il y a aussi la prise de rendez-vous. Dans mon précédent service, j’étais souvent en coprésence avec le chirurgien. J’avais même plus le rôle d’une assistante lors des soins … qui bien entendu n’est pas reconnu dans l’institution. Cela dépasse clairement les tâches ordinaires d’une secrétaire. Comme nous sommes le premier contact qu’ont les parents, la première image qu’ils ont de l’hôpital, il s’agit de contribuer à créer la confiance notamment en veillant à la bonne coordination entre les différents services. Être en vigilance psychologique, être une sorte de tampon absorbant les émotions du jeune patient et de ses parents. Cela va permettre au médecin de se concentrer sur son activité, de se mobiliser sur les dimensions médicales.

Une secrétaire médicale doit aussi veiller à la bonne administration des dossiers. Ainsi, le médecin pourra-t-il rapidement retrouver le fil des diagnostics, des prescriptions, des soins. Pour les parents, c’est très important car ils ont ainsi la preuve que le médecin est bien informé du dossier médical de l’enfant : cela consolide la confiance. Leur enfant n’est pas un numéro ! Au fil des années, je constate que les médecins sont de plus en plus accaparés par des tâches administratives. Or, selon moi, ils n’ont pas fait de longues études pour cela : ce n’est pas leur cœur de métier ! 

Lors du premier confinement en mars – avril 2020, l’activité de mon service a été réduite. Des examens non urgents ont été déprogrammés, souvent à l’initiative des familles, notamment pour des examens annuels ou semestriels dont le report de quelques semaines ou mois n’est pas problématique. Certaines hésitaient à se rendre à l’hôpital avec leur enfant, d’autant que nous limitions l’accompagnement à un seul parent.

C’est à ce moment que le télétravail a débuté. Depuis mon domicile, j’ai aidé mes collègues pour faciliter leur travail, à distance. Durant ces mois de pandémie, nous avons constaté que pour conserver des relations fluides entre secrétaires médicales et médecins nous avions su retrouver des outils de communication rustiques : le bon vieux mail ! Parallèlement, certains médecins dactylographiaient leurs rapports. Sans doute faisaient–ils le constat que c’était plus simple pour eux. Avec le retour progressif sur site, chacun retrouve globalement ses activités.

Pour ma part, j’ai réalisé toutes mes tâches depuis mon domicile. Je n’ai pas eu à mettre en place une grande organisation. Accéder à mon ordinateur me suffisait. Je dirai même que j’ai apprécié d’être chez moi plutôt que de devoir travailler à l’hôpital !

C’est lors du premier confinement que j’ai constaté combien l’informatique de l’hôpital n’était pas préparée à gérer la situation créée par la crise sanitaire. Sans me jeter des fleurs, je suis assez à l’aise en bureautique et en informatique et j’étais contente d’apporter mon aide, notamment en implantant des logiciels, surtout pour mes collègues qui étaient isolées. Je n’aime pas beaucoup entendre : « On ne peut pas faire cela ! » « C’est impossible, nous n’avons pas les moyens ! ». J’ai donc tenté de favoriser l’entraide, les coopérations. Ce sont des valeurs fortes du service public. La dimension humaine de nos missions nous porte à agir face aux problèmes, à faire beaucoup plus que ce qui est indiqué sur nos fiches de poste. Ces « débordements » sont particulièrement fréquents dans la fonction publique hospitalière et encore plus dans un hôpital entièrement dédié à des enfants. La plupart des personnels ne sont pas ici par hasard. Malheureusement, l’institution a compris qu’elle pouvait compter sur notre engagement et ainsi refuser de prendre en compte des problèmes récurrents de l’hôpital public.

Je fais partie de ces personnes qui ont un peu, et même beaucoup, de ressentiments vis-à-vis de l’institution. Des personnes qui cherchent à quitter l’Hôpital. J’observe une vague de collègues qui, je pense, ne vont pas faire long feu car ils sont épuisés psychologiquement et moralement par les lourdeurs croissantes qui affectent l’institution. Celle-ci use les agents y compris l’encadrement. Certes, des solidarités permettent au jour le jour de tenir, mais elles laissent à tous la charge des dysfonctionnements. L’Hôpital coule, coule doucement avec des personnels qui n’en peuvent plus de ne plus être reconnus pour leur engagement. L’institution ferme les yeux, déplace les problèmes. Nos communautés professionnelles sont profondément ébranlées.

Nous avons certes besoin de moyens, d’investissements, de personnels … nous nous battons beaucoup pour cela. C’est nécessaire, mais est-ce suffisant ? Quand j’observe le nombre de visas nécessaires pour la moindre décision, je doute. On perd beaucoup trop d’énergie dans des procédures administratives. Il ne faut pas tenter de reconstruire sur de mauvaises fondations. L’Hôpital ne peut pas être géré comme une entreprise qui a comme objectif le profit et non le soin aux humains. Beaucoup d’agents sont prêts à refonder l’institution. Leur motivation passe par un soutien des directions, par une authentique reconnaissance de leur dévouement et pas seulement par quelques mesures salariales par ailleurs nécessaires pour conserver des compétences précieuses. Sans cela, le sens du travail est atteint car nos valeurs, nos motivations sont niées et alors la seule solution c’est la fuite.

Parole de Charlie, le 28 mai 2021, mise en texte par François

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