P.S. « Même ceux qui auraient aimé effectuer plus de télétravail me disent combien ils sont contents de revenir sur le site, de retrouver leurs collègues »

Zoé, Chef de service dans une ONG internationale, représentante du personnel

Parole de mai 2022, collectée par Jacques, mise en texte par François

Ce texte est un post-scriptum au récit publié en juin 2020 : “le télétravail a supprimé toute créativité et fait du mal au collectif “ 

Avec près deux ans de recul, j’affirme que le télétravail nuit au collectif de travail. Nous ne sommes pas une entreprise de trois cents salariés mais une association qui réunit environ quatre-vingt-dix personnes, toutes basées à Paris. A mes yeux, le travail à distance porte atteinte aux liens entre les différents métiers ; il contribue à des cloisonnements qui sont dommageables. Depuis deux ans, hors des périodes de strict confinement, chaque responsable de service ou de pôle est invité à rassembler son équipe au siège au moins deux jours par semaine. Ces collectifs de cinq à vingt personnes n’ont pas trop souffert du télétravail, mais notre grand collectif oui.

En outre, nos équipes travaillent beaucoup avec des bénévoles et là j’observe des inégalités selon l’équipement et la maîtrise des outils numériques. C’est compliqué car au sein des équipes il y a des « pro-télétravail », des « anti-télétravail » et pas ou peu de positions nuancées.

Pour ma part, je constate qu’il y à des collègues que je vois presque tout le temps et d’autres que je ne croise quasiment jamais. Clairement, c’est avec les personnes que je rencontre à la machine à café que je travaille le plus. A l’inverse, il y a environ vingt personnes, notamment des salariés embauchés depuis le premier confinement, que je n’ai pratiquement jamais vus.

Les « anti-télétravail », dont je fais partie, font le constat que des réunions en visio’ de dix à quinze personnes ne créent pas les mêmes dynamiques. Il n’y a pas, dans ces configurations, une égalité de parole et cela entache l’identification d’un projet, d’objectifs… auxquels chacun va contribuer. Notre organisation n’est pas adaptée pour fonctionner avec un fort pourcentage de télétravailleurs. Quand nous étions tous présents dans nos locaux, nous économisions de l’énergie en allant voir les collègues concernés pour prendre leurs avis, leurs suggestions…. Quand le télétravail domine, nous changeons de dynamique, les procédures de validation, voire de revalidation, s’imposent plus strictement. Par exemple, à présent quand nous sollicitons nos collègues de la Com’, ils nous disent oui ou non. Avant, nous nous engagions dans des échanges pour identifier la meilleure option possible au terme d’un vrai travail collectif. Selon moi, une forte dose de télétravail est sans doute plus adaptée dans des organisations de plus petite taille où, en outre, les logiques de prise de décisions sont plus horizontales, sans être nécessairement en autogestion.

Le télétravail est perçu par nombre de salariés comme permettant une amélioration de la qualité de vie personnelle. Cela je l’entends, mais l’irruption du télétravail a été et est un accélérateur de problématiques sociétales. Pour ma part, compte tenu de mes engagements syndicaux, je considère que l’amélioration de la qualité de vie passe plus par une augmentation des salaires et une réduction du temps de travail que par l’instauration de journées télé-travaillées. Celles-ci répondent certes à certains besoins, je pense aux jeunes couples notamment mais, d’autres solutions existent, elles n’ont pas ou peu été envisagées et je le regrette.

Pour l’instant nous sommes régis par un texte issu des consignes gouvernementales prises au regard de la crise sanitaire. A partir de la semaine prochaine, nous allons vivre avec un accord qui a été négocié durant douze mois. En gros, il prévoit que nous travaillerons trois jours en présentiel et deux jours en télétravail. Ces deux journées seront fixées par le responsable d’équipe qui identifiera symétriquement les jours où le présentiel sera obligatoire au regard des activités partagées, des réunions…

Cet accord sera applicable à tous les salariés et non pas à une seule minorité – environ 10 % – comme l’était le précédent. Il précise les équipements qui devront être fournis aux salariés ainsi qu’une obligation pour chacun de suivre une formation « Gestes et postures » afin de prévenir au mieux les troubles musculo-squelettiques.

Globalement, cet accord satisfait les salariés. Nous avons mis en place une commission paritaire qui aura pour mission d’évaluer les demandes de personnes qui souhaiteraient télé-travailler trois jours par semaine. Bien entendu, les femmes enceintes, les aidants, les personnes en situation de handicap… n’auront pas à présenter leur demande à cette instance. Il est acté que nous ferons d’ici un an un point sur cet accord afin de l’amender si nécessaire.

Le résultat des négociations me paraît satisfaire une large majorité mais il est vrai que ceux qui y sont opposés ne viennent pas me voir. Ils connaissent ma position. Cependant, même ceux qui auraient aimé effectuer plus de télétravail me disent combien ils sont contents de revenir sur le site, de retrouver leurs collègues… Si les mardis et jeudis sont des jours où il est vivement recommandé d’être présent, je constate qu’il en est de même les lundis car de nombreuses réunions d’équipes ont lieu ce jour-là. Mais encore une fois, il n’y a pas d’obligations semaine par semaine, c’est au niveau du mois que celle-ci est comptabilisée. C’est donc aux responsables de pôles d’apprécier les jours où le collectif doit se retrouver. Par ailleurs, j’ai noté que certains salariés viennent travailler le mercredi afin de bénéficier du calme qui règne lors de ce jour-là, c’est un choix à contre-courant !

J’observe qu’ici ou là, dans quelques cas, des postures de contrôle de l’activité des salariés par le management ont régressé. Cette évolution positive est due pour une assez large part au fait que nous avons eu, durant ces deux dernières années, un turn-over significatif chez les cadres. L’augmentation du nombre de séminaires d’une journée réunissant des équipes est aussi un signe positif de cohésion. Ceux-ci rassemblent un nombre maximum de salariés engagés dans des projets. En outre, des réunions « hybrides » rendues possibles grâce à des équipements numériques de qualité réunissent des salariés au siège et des bénévoles œuvrant sur le territoire. C’est pour moi une valeur ajoutée majeure.

Ce qui de mon point de vue demeure à construire, c’est le développement de l’autonomie des salariés et des militants. Nous demeurons une organisation très hiérarchique qui ne sait pas suffisamment reconnaître les qualités professionnelles de chacun. J’en veux pour preuve que pendant les temps de confinement, l’essentiel de mes réunions en tant que cadre était consacré à rendre compte du bon avancement de nos activités. Du coup, je n’avais plus guère de temps pour une réflexion stratégique.

Avec un peu de recul, je dirais que le confinement et le télétravail ont plutôt renforcé les postures de contrôle contrairement à ce que j’ai pu entendre chez des collègues en poste dans d’autres organisations. Il existe encore chez nous une méfiance qui alimente cette logique. J’en veux pour preuve que nous devons justifier beaucoup plus de choses qu’avant la pandémie. En effet, quand émerge une situation d’urgence, j’observe qu’est mobilisée toute une gamme de dispositifs : courriels, envoi de liens pour des réunions, téléphone… Cela matérialise les exigences de contrôle de certains cadres mais aussi leurs difficultés à identifier et mettre en œuvre des pratiques nouvelles. D’un autre côté, il est vrai que nous n’avions que peu la culture de l’évaluation. Or elle est nécessaire. Mais entre ce besoin et un encadrement qui contrôle tout, il faut trouver un juste milieu.

Dans les services, les salariés se sentent plus proches de leurs collègues qu’avant.  J’observe que des liens générationnels ont pris de l’importance : les jeunes sont avec les jeunes, les trente – quarante ans entre eux et de même pour les plus âgés. Cela est visible lors des pauses de la mi-journée où le brassage intergénérationnel d’avant est à présent moindre.

Du coup, comme nous avons effectué pas mal de recrutements durant ces deux années comment les nouveaux arrivent-ils à s’intégrer dans leurs services et plus largement dans notre organisation ? J’ai été amenée à accompagner de jeunes salariés en rupture conventionnelle, des jeunes qui vivaient très mal le télétravail car ils se sentaient isolés. Du coup, j’ai mieux appréhendé les grandes souffrances engendrées par le télétravail. Je fais l’hypothèse que cela ne doit pas être facile pour eux.

Parmi les candidats à des postes que nous offrons, beaucoup sont plutôt demandeurs de télétravail, or notre organisation limite cette modalité. Dès lors, cela freine l’embauche de salariés résidant hors de la région parisienne alors qu’il y a sans doute de belles opportunités de développement pour notre organisation.

Nombre de médias ont mis en avant les avantages du télétravail pour mieux articuler vie professionnelle et vie personnelle. Pour ma part, j’ai plutôt entendu des situations contrastées.

Certains, notamment ceux qui ont eu à s’occuper de jeunes enfants, sont sortis épuisés de ces semaines. : ils commençaient leurs journées à six ou sept heures pour reprendre leurs dossiers à compter de vingt-et-une heures. Après les deux premiers confinements, une enquête interne auprès des quatre-vingt-dix salariés a mis en évidence que cinq à six salariés étaient en grande difficulté. En janvier-février de cette année, nous n’avons recensé que deux personnes dans des situations similaires. Dans les deux enquêtes, c’est l’isolement professionnel qui explique le mal être profond de ces personnes.

D’autres salariés ont calqué leurs horaires de télétravail sur ceux qu’ils effectuaient avant la crise. Dans ce cas, et selon leur situation familiale, la totalité de leurs missions n’étaient pas nécessairement réalisées.

Enfin, certains collègues ont effectivement pu trouver un équilibre de vie et donc sont très favorables à la poursuite d’un travail combinant présentiel et distanciel. Il est vrai qu’ils disposaient personnellement de conditions matérielles favorables.

En guise de conclusion, je dirais que l’irruption du télétravail peut être analysée comme une boîte de Pandore. Il a mis en évidence certains dysfonctionnements qui n’étaient que peu visibles. Dès lors, cela a permis pour certains d’être eux d’être effectivement traités. Notre pôle RH a bien su appréhender les nouveaux problèmes : le changement de nature des RPS, l’importance d’une bonne connaissance du métier des autres, indispensable au plein développement de notre organisation. Enfin, chez de jeunes salariés, très investis, ont émergé des questionnements quasi existentiels : travailler cinquante heures par semaine, oui pourquoi pas, mais cela a-t-il du sens. ?

Parole de Zoé, mai 2022, collectée par Jacques et mise en texte par François.

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