« Aucun patient en hôpital de jour ne reste anonyme »

Françoise, secrétaire médicale en oncologie, programmation – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »

Secrétaire médicale en cancérologie depuis 1992, j’occupe le poste de programmation en hôpital de jour d’oncologie-médecine depuis septembre 2012, date de l’ouverture de la Cité Sanitaire et donc du transfert de la Polyclinique de l’Océan devenue « Clinique Mutualiste de l’Estuaire ».

La programmation des traitements de chimiothérapie était initialement assurée par les infirmières de l’hôpital de jour et, au vu de l’augmentation d’activité du service, le poste de programmation de chimiothérapie a été créé juste avant l’ouverture de la Cité Sanitaire (il existait déjà en radiothérapie, assuré par une de mes collègues secrétaires). L’expérience et les connaissances acquises dans le domaine de la cancérologie m’ont permis d’accéder à ce nouveau métier, un challenge et une évolution que je souhaitais avec un travail au sein même de l’hôpital de jour, en contact direct avec les infirmières et surtout avec les patients pris en charge pour leur traitement.

Le bureau de programmation est juxtaposé au PC de soins du 1er secteur de l’hôpital de jour, local théorique de pause pour les infirmières. Mais n’ayant pas été anticipé sur plan initialement, c’était la solution d’urgence qui a finalement perduré et à laquelle nous nous sommes adaptés, même si ce n’est pas l’idéal en terme d’espace et d’insonorisation pour se concentrer.

L’hôpital de jour d’abord d’oncologie est devenu un hdj de médecine, regroupant les traitements de chimiothérapie et d’immunothérapie, de gastro-entérologie, les transfusions, les ponctions d’ascite, les soins divers allant du soin infirmier spécifique à un court séjour en attente d’une hospitalisation.

Mon travail consiste donc à planifier ces séjours, en faisant corréler les impératifs des différents protocoles avec les contraintes multiples liées au service en terme de places disponibles, d’emplois du temps des médecins et des infirmières, et bien sûr des demandes des patients.

La prise en charge d’un patient en cancérologie suit un parcours bien défini et articulé de façon à optimiser les délais entre chaque intervenant et aider au mieux le malade et sa famille à s’organiser.

J’interviens après la consultation de l’oncologue, soit directement après, soit après que mes collègues secrétaires ont planifié le bilan d’extension, la pose du cathéter ou autre, selon l’urgence ou la disponibilité de chacun, et le plus souvent par téléphone pour ce premier contact.

Mon rôle reste très « technique » dans le sens où je programme un traitement prescrit par le médecin sur un planning informatique et déroule les rendez-vous du patient sur une durée de 3 à 6 mois, voire plus pour les traitements d’entretien, selon des protocoles variés avec des périodicités différentes.

Mais ce côté « mécanique » n’enlève rien au côté humain de mon travail, au contraire, puisque le patient reste avant tout notre première préoccupation dans la mise en place de ce calendrier qui va devenir son «quotidien » avec toutes les contraintes qui en découlent forcément dans sa vie privée et professionnelle, pour lui et son entourage, famille et amis qu’il  nous arrive aussi de rencontrer.

C’est un travail très prenant qui demande une solide organisation et maîtrise de soi, une disponibilité immédiate pour répondre aux nombreuses demandes de modifications, ajouts, reports, suppressions de rendez-vous, qui sont le propre de l’activité de l’hôpital de jour, avec toute la « pression » plus ou moins « agressive » des interlocuteurs (médecins, infirmières, secrétaires, patients aussi..).

C’est en tout cas un travail riche d’un point de vue humain, même si je déplore souvent avoir de moins en moins de temps pour aller voir les patients en chambre. Mais je fais mon possible pour me rendre disponible et aller discuter directement avec eux plutôt que par « infirmière interposée » d’un changement de rendez-vous, d’un report pour un week-end en famille, d’une modification de jour pour garder les petits-enfants, répondre à une question du conjoint ou de l’ami(e) qui l’accompagne, etc..

Aucun patient en hdj ne reste « anonyme », même si encore une fois le nombre croissant de patients ne me permet pas de les « connaître » tous. Il y a toujours un lien qui se créé, plus ou moins fort selon les affinités –comme avec n’importe quelle personne que l’on rencontrerait- et bien sûr selon la durée de la prise en charge, quel que soit l’âge, la condition sociale. La maladie met tout le monde sur le même pied d’égalité et nous mettons tout en œuvre pour aider les patients à la combattre..

Au fil de mes années d’expérience, j’ai forcément lié des liens plus forts avec certains patients, notamment des patients anglais que j’ai aidés du mieux que j’ai pu durant leur prise en charge, quand la barrière de la langue rendait difficile les échanges  et les explications médicales ou pratiques. C’était aussi l’occasion de « simples discussions » où ils pouvaient se livrer un peu, mais aussi parler tout bêtement  de leur vie à proprement parler, de leurs passions, comme ce très attachant Mr N. , clarinettiste et son « Boys Band » de Birmingham qui m’a offert son CD « when you wore a tulip », « the heart of England Jazz Band »… En me lisant, beaucoup se souviendront sûrement de ce gentleman et de son humour bienveillant … Je me suis liée d’amitié avec lui et son épouse et passais leur dire bonjour quand il était hospitalisé lorsque je le pouvais en quittant mon travail. Après son décès, je suis restée en contact avec son épouse, un lien qui « le gardait vivant » en quelque sorte…  Le soutien dont elle avait besoin pour faire son deuil et avancer sans lui.

C’est un exemple parmi beaucoup d’autres, je me souviens encore du nom du premier patient décédé en début de carrière, un adorable papy de 75 ans… de l’épouse d’un des instituteurs de mes enfants avec qui j’ai partagé tant de moments difficiles et aussi heureux, la rémission de quelques mois et la douloureuse récidive qui anéantit toute une vie et toute une famille, le sentiment d’impuissance et l’impression du travail dérisoire d’une nouvelle série de rendez-vous à planifier…  et de tant d’autres qui vous donnent des leçons de vie et de courage, qui vous confortent dans votre motivation au travail tous les jours et vous témoignent la reconnaissance que l’on a tellement de mal à avoir de nos institutions.

Les liens se renforcent aussi parfois quand les patients récidivent et doivent de nouveau affronter ce cataclysme dans leur vie. Il est tellement difficile de trouver les mots pour les aider à trouver l’énergie nécessaire pour se battre encore. À mon niveau, je peux juste faire en sorte que leur traitement soit programmé un jour qui leur convienne, que la consultation soit bien avec leur oncologue référent quand cela est possible, de toujours leur répondre avec le sourire et être à leur écoute pour les demandes qui sont de mon ressort. 

Les patients sont avec nous parfois pendant plusieurs mois, nous finissons par connaître leurs « habitudes » par cœur et gardons en tête leurs contraintes personnelles pour programmer leurs rendez-vous, tout en respectant aussi les contraintes médicales qui nous forcent souvent à chambouler leurs projets ou leurs habitudes. Les échanges constants entre la « programmation » et les soignants sont aussi primordiaux pour y parvenir. 

Le travail de chaque membre d’une équipe est complémentaire et « la programmation » est le point central de l’hdj qui recueille toutes les demandes et les traite en jonglant avec les impératifs de chacun, quelquefois contradictoires. Il faut s’y adapter, garder la tête froide quand un médecin vous demande de programmer en urgence un traitement mais que l’infirmière vous dit que le service est complet, trouver la solution en « jouant à tetris », rester concentrée sur la programmation d’un protocole tout en répondant aux téléphone pour planifier un nouveau patient et prendre un dossier que l’infirmière vous tend pour modifier un rendez-vous… Des journées bien remplies avec leur lot de stress, de pression, de crainte d’avoir fait une erreur dans « la précipitation » parfois, d’un oubli, de satisfaction du travail bien fait, de regret de ne pas avoir pu faire plus… et le sentiment de courir après le temps dans un service qui prend de l’ampleur et doit se réorganiser, au détriment souvent de ce précieux contact humain qui doit pourtant rester au centre du soin.

Et quel bonheur de croiser ces patients qui viennent en hôpital de jour, des projets plein la tête quand ils parviennent à vaincre la maladie,  pour vous voir et vous remercier de les avoir accompagnés pendant leur traitement , d’avoir juste été là aussi pour la ou les personnes qui partagent leur vie, simplement quand il en avaient besoin, même pour un simple rendez-vous…

Françoise, secrétaire médicale en oncologie, programmation

La chimiothérapie et la radiothérapie ont lieu dans la même journée. Entre la fin de la première et le début de la seconde, il y a un délai impératif de quelques heures. Cela nous laisse du temps. Un agent de service apporte un repas mixé pour mon épouse, moi, j’ai amené un sandwich. Nous grignotons sans conviction. Dehors, il y a du soleil.  C’est le début de l’automne ou le début du printemps. En attendant l’heure de la radiothérapie, on va aller au parc paysager ou bien au parc de Procé. Avec mon épouse coiffée de son chapeau de paille pour se protéger du soleil, on ira de l’ombre d’un pin à celle d’un peuplier. On regardera les canards mandarins glisser dignement sur la surface de l’étang, figés dans leurs atours bigarrés. On se souviendra du pain que nous leur lancions quand nous venions ici, jadis, avec notre jeune garçon. Si on a le temps, on reviendra vers l’hôpital en longeant le bord de la mer. À l’heure dite, on garera la voiture sur le parking de la chimiothérapie. Des patients arrivés en avance seront déjà installés sur les chaises de la salle d’attente. On se saluera. La porte de la cabine de déshabillage s’ouvrira au moment voulu. Tout est prêt: les plannings sont réglés avec le plus grand soin. 

Pierre, accompagnant

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