« Chaque patient attend de moi une explication »

Isabelle, infirmière coordinatrice – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »

Tôt le matin, je reçois un appel d’un monsieur qui a trouvé mon numéro de téléphone d’ « infirmière coordinatrice » dans le classeur remis aux patients de cancérologie. Il m’explique que la chimiothérapie qu’il est en train de subir à domicile a déclenché une grosse toxicité cutanée au visage. Depuis mon bureau je dois alors imaginer ce dont il s’agit par rapport à sa thérapie, et comprendre, en reprenant les consultations précédentes, si cette toxicité est nouvelle ou pas.

À partir de là, je demande au patient de m’envoyer une photo grâce à son téléphone portable. Je connais les effets secondaires liés à son traitement, mais tant que je n’ai pas vu les lésions, je ne peux pas savoir s’il s’agit par exemple d’une allergie. Généralement, selon ce que je constate, je demande l’avis de l’oncologue qui peut fixer un nouveau rendez-vous ou même arrêter le traitement. Je peux aussi diriger le patient vers le médecin généraliste et recommander d’éviter un savon trop agressif et d’utiliser les cosmétiques adaptés. Cette fois-là j’ai faxé une ordonnance à la pharmacie pour une crème adaptée au problème cutané.  

Le patient attend une explication mais je n’en ai pas toujours. Quand, par exemple, quelqu’un m’appelle pour une douleur abdominale, je pose toute une série de questions : « Avez-vous un transit ? Avez-vous mangé quelque chose qui aurait pu vous déranger ?……» Je déblaye un peu parmi les informations que je peux recueillir. Mais, par téléphone, je ne peux guère en savoir plus sur une douleur abdominale, il faut absolument une auscultation de l’abdomen. Si le cas s’avère inquiétant, l’oncologue peut décider de voir le patient l’après-midi-même, si son emploi du temps lui permet. L’important est de tranquilliser le malade, de l’assurer que sa demande a été prise en compte et lui apporter la certitude que l’on fera le maximum pour y répondre.  En attendant un rendez-vous en urgence, je peux essayer d’atténuer cette douleur abdominale en passant en revue les médicaments qu’il a à sa disposition. « Prenez l’antispasmodique qui est dans votre armoire à pharmacie… » 

Hier, une patiente, très gênée pour respirer, m’a appelée pour me dire qu’elle n’en pouvait plus. Avec la secrétaire et le service de pneumologie, nous avons fait en sorte que la priorité soit réévaluée par rapport à d’autres patients qui se trouvaient sur la liste d’attente… Une heure trente plus tard, la dame subissait une ponction pleurale. Elle a laissé un message pour nous remercier. J’avais fait ce qu’il fallait pour la soulager. Là, j’ai éprouvé la satisfaction d’avoir fait au mieux pour elle. Dans tous les cas, il s’agit d’être clair vis-à-vis des personnels de la clinique de manière à ce qu’ils aient les bons éléments d’appréciation. D’autre part, je dois faire très attention à ce que je dis au patient. Il ne faut pas accentuer son anxiété mais le convaincre d’accepter mes conseils. Ce n’est pas toujours facile parce que je n’ai pas les gens en face de moi. Et je ne suis qu’infirmière… même si ma fonction est d’être « infirmière coordinatrice » … 

Coordinatrice… c’est un bien grand mot ! Les gens pensent que la coordinatrice s’occupe de tout et qu’elle connait les dossiers de tous les patients. En fait, quelques missions bien définies me sont confiées ainsi qu’à la collègue qui occupe la même fonction que moi. 

Une de ces missions, comme on vient de le voir, est d’être un lien entre les patients, la structure et le domicile, de répondre aux questions des patients qui appellent, pour signaler un problème, informer de leur situation ou même pour demander une hospitalisation. 

Une autre mission est de coordonner les soins de la structure vers le domicile, en collaboration avec les différents intervenants médicaux et paramédicaux de la structure et du domicile : pharmacien de ville, infirmiers libéraux et, bien sûr aussi, le médecin généraliste. Dans ce cadre, une de nos priorités est que les généralistes s’investissent dans la pathologie de leurs patients atteints de cancer. Dès qu’un de ces patients reçoit, par exemple, une alimentation par voie parentérale à domicile, j’envoie à son médecin un courrier l’informant que l’on va assurer le suivi de cette forme de traitement et que l’on est joignable en cas de besoin. Par ailleurs, je mets en place un partenariat qui déchargera le médecin de toute l’installation assez technique au domicile du patient mais qui le rendra destinataire du compte-rendu de l’oncologue après chaque consultation, ainsi que d’une évaluation sur l’évolution de la maladie. Mettre le médecin généraliste dans la boucle est la moindre des choses, mais ne garantit pas qu’il saura apporter les réponses adéquates aux problèmes de son patient si cela concerne la maladie cancéreuse et de ce fait l’oncologue restera le référent…. 

Je contacte aussi les pharmaciens de ville que je connais pour la plupart, au moins par téléphone, parce que je les ai rencontrés dans le cadre du réseau de cancérologie. Le pharmacien commande et délivre les médicaments (antalgiques, antibiotiques par voie intraveineuse, les traitements pour éviter les nausées…..) mais il n’a pas, dans son officine, le matériel nécessaire à la mise en place des soins de support. Après réception des ordonnances il sous-traite avec un prestataire pour obtenir tout le matériel en temps et en heure. Les prestataires disposent d’infirmières, qui interviennent au domicile des patients pour installer les perfusions et le matériel et former les infirmiers libéraux. Par ailleurs, la plupart du temps, ce sont les diététiciens du prestataire qui évaluent les besoins nutritionnels des patients à domicile (prise ou perte de poids).  Ainsi, la règlementation prévoit que le prestataire se rende au domicile du patient au bout de 14 jours de mise en place, puis une fois par mois et qu’il transmette ses comptes rendus à la fois à l’oncologue référent, au médecin généraliste et à l’infirmière coordinatrice qui assure le lien entre l’institution et le domicile. 

Voilà maintenant 15 ans que je suis sur ce poste-là. C’est pourquoi, je connais également presque toutes les infirmières habilitées, car c’est souvent moi-même et ma collègue qui leur dispensons les formations de réactualisations en oncologie. Quand je les contacte pour qu’elles prennent en charge un patient à domicile, je m’assure que leur charge de travail leur permet de le faire de manière optimale. En effet, si les soins sont parfois légers, ils sont souvent très lourds et nécessitent alors entre un à trois passages par jour. Le bon déroulement des soins à domicile dépend de la qualité du partenariat entre tous les acteurs : infirmière libérale, médecin généraliste, pharmacien qui tous peuvent m’appeler à tout moment, sur mes heures de présence bien sur. 

Le bon déroulement des prises en charge à domicile dépend également du partenariat vec les différents intervenants de la structure ; il est essentiel dans la prise en charge des patients, en amont des sorties et dans le suivi. C’est pourquoi un lien avec toute cette équipe pluridisciplinaire – diététiciens, assistantes sociales, infirmières et aides soignantes des services – est primordiale pour ensuite transmettre aux intervenants du domicile. a

Une mission de l’infirmière coordinatrice est de rencontrer les patients, lors d’une consultation d’annonce, lorsque l’oncologue a prescrit une thérapie ciblée qui nécessite le recours à des médicaments spécifiques. Je reprends avec eux les modalités de prise du traitement et les éventuels effets secondaires, en insistant sur des conseils pour les limiter. Je leur remets un livret de suivi réalisé par le laboratoire ou par les infirmières coordinatrices, en partenariat avec les médecins. Cet outil permet aux patients de bien observer leur traitement et de ne pas se sentir démunis lorsqu’ils sont chez eux. J’appelle ces patients une fois par semaine pendant les deux ou trois premiers mois de leur traitement pour m’assurer que tout se passe bien, vérifier qu’ils ne sont pas sujets à des effets secondaires. S’ils sont fatigués, ou s’ils ont besoin d’être hospitalisés, c’est moi ou ma collègue qu’ils appellent dans la majeure partie du temps. 

Une autre de mes missions est de rencontrer et d’informer systématiquement les patients qui commencent un nouveau traitement de chimiothérapie en hôpital de jour et qui rentrent à leur domicile munis d’un système de perfusion ambulatoire, qu’on appelle un diffuseur. Je leur explique le principe de fonctionnement de l’appareil et je les rassure : ils vont être surveillés par un infirmier libéral pendant 48 heures ou 96 heures suivant le protocole. C’est aussi le moment de récapituler les conseils concernant l’alimentation et de parler des possibles effets secondaires. Parfois c’est moi qui appelle les infirmiers libéraux afin de faire le lien et de les informer du stade de la prise en charge.

Dans le cadre de ma nième mission, je participe, en équipe, trois à quatre fois par an, aux programmes d’éducation thérapeutique auprès des patientes atteintes du cancer du sein, soignées par hormonothérapie. Ce dispositif est déjà bien établi, et tourne depuis deux ans. L’objectif de l’éducation thérapeutique est d’inciter les patientes à bien prendre le comprimé qu’elles doivent absorber tous les jours pendant cinq ans. Cette prise quotidienne peut paraître anodine. En réalité il s’agit d’un suivi lourd parce qu’il peut entraîner beaucoup d’effets secondaires. L’enjeu est de convaincre de l’intérêt de ce traitement. Au cours des deux premiers ateliers collectifs, les patientes échangent entre elles pour mieux connaitre la maladie, son traitement et ses effets secondaires. Un troisième atelier est focalisé sur le vécu autour de la maladie : son ressenti, les rapports avec la famille, l’entourage, ce que le cancer modifie dans la vie au quotidien. Le dernier atelier, reprend les trois précédents mais est destiné aux conjoints. L’idée est d’expliquer à ces derniers à quoi servent les médicaments, quels sont leurs effets secondaires et qu’est-ce que le traitement chamboule dans la vie de leur compagne. Après les différents ateliers, les dames vont bénéficier d’1h30 de conseils de la part d’un professeur d’activité physique adaptée, d’un diététicien ou d’une sophrologue. Et pendant que les conjoints participent au quatrième atelier, les dames sont prises en charge par des socio-esthéticiennes qui leur apprennent à prendre soin d’elles. Nous sommes en train de réaliser un deuxième programme d’ETP autour des thérapies ciblées.

Je suis aussi référente en informatique. Dès qu’il y a une nouvelle molécule, je suis chargée, avec les secrétaires, de rédiger l’ordonnance préétablie de façon à ce que l’oncologue passe plus de temps avec les patients et moins sur l’ordinateur. Je crée des protocoles que je fais valider par les oncologues après avoir vu les laboratoires. Une fois validée, l’ordonnance est insérée dans les dossiers.

Parfois, je ne suis pas en contact direct avec les patients auxquels j’ai affaire. Mais, comme ma collègue, j’ai besoin de relationnel, je veux voir et entendre les gens. C’est pourquoi, dès que je peux, je m’efforce d’aller les voir en chimio ou en hospitalisation. Ou bien j’essaie de me présenter lors d’une consultation pour qu’au moins, les patients me voient et mettent un visage sur mon nom et sur ma fonction. En toute circonstance, j’essaie d’être le plus réactive possible. J’ai peu de répits dans mes journées. Mais j’ai des limites qui me sont imposées par la multiplicité des tâches et des situations …

Cela fait 29 ans que je travaille en cancérologie en ayant changé 3 fois de service et de fonction. On me dit parfois que dans des services comme celui de la cancérologie, les infirmiers ont des carapaces car ils sont confrontés à la douleur, la souffrance et à la mort au quotidien. Je n’en suis pas sûre. Parce que, pour ma part, j’ai partagé la souffrance de certains patients, j’ai eu de la peine avec leurs familles. Alors, oui, je suis parfois obligée de mettre de la « distance » pour ne pas me faire « manger ». 

Ce qui parfois est plus difficile, même si cela arrive rarement, c’est quand des patients me mènent la vie dure alors que je fais le maximum pour eux. J’ai alors le sentiment qu’ils me reprochent d’être malades, au point parfois de m’injurier ou de me raccrocher au nez ; surement pour eux, un moyen de d’évacuer leur colère à l’égard de la maladie ? Heureusement, ce genre de réaction exceptionnelle n’annule pas les marques de gratitude que je peux recevoir. 

Le week-end dernier j’ai fait tout ce que j’ai pu pour hospitaliser un monsieur qui n’était pas bien. Sa femme a laissé un message pour me remercier alors que son mari, malheureusement, était décédé. 

Nous ne pouvons pas oublier que les patients sont des êtres humains face à nous, avec leur fragilité, leur souffrance, leur désarroi et leur personnalité ; ce ne sont pas des numéros. Lorsque l’on fait ce métier on ne peut pas être insensible à la détresse, à cette maladie dont chaque étape est toujours difficile. 

Mon rôle est de permettre à chaque patient de passer l’étape de l’annonce,  des traitements, des effets secondaires, des douleurs physiques ou psychologiques dans les meilleures conditions. Je ne me protège pas, je fais comme je le sens, comme je le pense, en espérant répondre au mieux à leurs demandes et en étant le plus empathique possible. 

Isabelle, infirmière coordinatrice

Au petit matin, mon épouse semble dormir paisiblement. Trop paisiblement. En réalité, un léger râle m’alerte à la fin de chaque expiration. 
Je sais ce que cela signifie. C’est déjà arrivé au même stade d’une chimio précédente : je n’avais pas réussi à la sortir de son sommeil. Au téléphone, l’infirmière coordinatrice avait été nette et précise « Il faut appeler le 15 ». Cette fois, je ne perds pas une seconde. L’ambulance arrive sans tarder avec un médecin. C’est un samedi, les gens affluent aux urgences sans discontinuer : des grippés, des blessés, des enfants, des anciens… On prend mon épouse en charge immédiatement. Naloxone. Elle se réveille un peu. Cela ressemble à une surdose de morphine… 
Du côté de l’entrée du service, le hall d’accueil se remplit. Bientôt, les brancards, côte à côte, en occupent tout l’espace disponible. Infirmiers et aides-soignants se démènent comme si chaque malade était seul au monde. Puis on demande aux familles et aux proches de se replier dans un bungalow installé sur le parking. La salle d’attente des visiteurs est en effet réquisitionnée pour y placer les patients qui, après les premiers soins, attendent la suite des événements. 
C’est là que mon épouse est ramenée sur un lit-brancard que l’on case entre un distributeur d’eau fraîche et je ne sais quel matériel de réserve, derrière un paravent sommairement déployé. Rapidement, les premiers signes d’une nouvelle perte de conscience se manifestent. Le médecin est alerté, un nouveau protocole est aussitôt déclenché. Transfert au service de soins continus. 
Au bout de plusieurs jours de soins intensifs, c’est l’admission au troisième étage de l’oncologie, en hospitalisation complète.

Pierre, accompagnant 

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