« Je sais que les patients ont confiance en nous, les brancardières »

Marion, brancardière – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »

« Allez hop ! C’est la balade aujourd’hui ! ». Le patient qui m’accueille ainsi est un homme que je vais emmener sur son fauteuil, le long des couloirs. Il veut prendre les choses à la légère. La balade, c’est le scanner, la radio, les rendez-vous médicaux… Rien de bien réjouissant… Mais ça lui fait du bien de sortir de la chambre !  

Un brancardage ne dure pas plus de cinq à dix minutes. Quand j’arrive, je dis bonjour à la personne que je vais prendre en charge. Je lui demande si ça va, si elle a bien dormi. C’est important de savoir dans quel état se trouvent les patients dont nous nous occupons. Ensuite, j’essaie d’engager la conversation: « Avez-vous eu des visites ? Est-ce que le traitement n’est pas trop dur ? » Il y a des gens qui n’ont pas envie de parler. Ça se sent, ils disent juste « Oui » ou « Non » sur un ton qui montre qu’ils ne souhaitent pas poursuivre. Je n’insiste pas. Chacun est libre…  Je fais ce qu’il y a à faire : dans le cas d’un transfert en fauteuil, installer la perfusion sur un pied à roulettes. Si le patient doit être transporté alité, j’accroche la poche de perfusion à la potence du lit, et je débranche la pompe à morphine que je pose sur le matelas, bien calée. Elle continuera à fonctionner puisqu’elle est sur batterie. Au besoin je connecte le support respiratoire sur une bouteille d’oxygène. Je vérifie que le sac de la sonde urinaire est bien fixé. Je relève les barrières du lit. Enfin, s’il est en fauteuil, je propose au patient de poser un drap sur lui ou de lui passer son peignoir parce qu’il fait plus frais à l’extérieur des chambres… Et nous voilà partis le long des couloirs. 

On ne se rend pas compte, mais les couloirs sont hyper longs ! Quand on effectue un transfert depuis le service d’oncologie, on doit parfois parcourir de grandes distances à l’intérieur de la cité sanitaire. Les lits que je manoeuvre, avec la personne qui est dedans, ses affaires, les accessoires, dépassent vite les 200 kilos. Et si on cumule les distances parcourues en une journée, on atteint les 13 à 15 kilomètres, parfois 20. Une de mes anciennes collègues s’est abimé le dos, elle a eu des tendinites, des torticolis, Elle s’est bloquée, en poussant un lit. Moi je porte une ceinture lombaire. C’est pour ça qu’il vaut mieux être deux brancardières pour ce genre de transfert. Et il ne faut pas traîner : d’autres brancardages sont programmés. Je galope, suivie parfois par les membres de la famille qui peinent un peu à tenir le rythme. Alors, je ralentis, je ne vais pas les laisser à la traîne. J’essaie de leur parler, de poser des questions au patient : pourquoi est-il là ? D’où vient-il, Quel est son métier ? Comment va la famille ? La pluie, le beau temps… On arrive à parler de beaucoup de choses en dix minutes.  Beaucoup aiment bien, certains se mettent à me raconter leur vie en entrant dans les détails. Par exemple, une dame à qui j’avais juste demandé si elle avait des enfants m’a raconté que sa fille avait eu son bac et qu’elle parlait plusieurs langues… Mais son fils n’était pas très bon à l’école. Il ne savait pas trop ce qu’il voulait faire… 

Il y a les patients tristes. S’ils pleurent, je suis là pour eux. Je leur propose un verre d’eau ou un mouchoir. Que dire dans de tels moments ? Quand ils me confient que ça ne va pas bien, ça me touche. Je ne peux pas rester insensible. Alors, je me contente de les écouter. Il ne faut surtout pas faire de gaffe. Un premier janvier, par exemple, j’avais transporté, avec ma collègue, une dame à qui nous avions souhaité le meilleur. « C’est gentil, nous a-t-elle répondu, mais, cette année-là, je ne vais pas la passer… »  Alors, vous ne savez plus comment vous rattraper! Vous essayez d’aller sur un autre sujet. C’est que les brancardiers n’ont pas toutes les infos. On a juste le rendez-vous, on sait que tel patient va en cardio, tel autre en radiothérapie. On peut leur demander pourquoi ils sont là, quelle zone est traitée, comment c’est venu. Le mieux, si on a le temps, est d’aller se renseigner auprès des infirmières. Mais on risque constamment de mettre les pieds dans le plat !

J’ai les habitués que je transporte régulièrement à la chimiothérapie ou aux rayons. A chaque fois, on reprend notre conversation au point où nous l’avions laissée. C’est un lien qui se crée autour des nouvelles qu’ils me donnent : les enfants qui sont venus, les petits-enfants qui grandissent… On parle aussi de leur traitement : il reste tant de séances. Quand c’est le jour de se rendre au scanner de contrôle, le stress est au maximum. J’essaie alors de les détendre un peu en parlant d’autre chose. 

Une fois, ma collègue et moi avons eu un monsieur de 40 ans. Il était accompagné de sa femme avec qui on discutait beaucoup. Ils essayaient d’avoir un enfant grâce à la PMA. Quand on a appris qu’il était mort, oui, ça a été dur… Il avait encore plein de projets. J’ai revu sa femme quand elle est revenue rencontrer la psychologue. Elle ne voulait pas de ce genre d’entretien, elle était restée tétanisée par le décès de son mari. C’est dur de perdre quelqu’un qu’on aime. Maintenant, ça va mieux, ça lui a fait du bien d’en parler, de partager. Quand on emmenait le monsieur à ses traitements, on discutait beaucoup avec lui. Malgré sa maladie, il avait toujours la joie de vivre, il riait volontiers à nos plaisanteries. C’est ça qui nous redonne le moral : réussir à apporter un peu de sourire, de bonne humeur. On doit sans doute faire des blagues sans nous en rendre compte, dire des petites bêtises. Du coup ils rigolent un peu. Ca leur donne un peu de bonheur et à nous aussi, dans ce métier pas facile.

 Quand je m’attache à un patient et qu’un jour, je l’emmène en soins palliatifs, ça me fait mal au cœur parce que je sais qu’il va décéder dans les jours qui suivent. Pendant le trajet, je lui dis que tout va bien se passer, que mes collègues sont là. Mais il y croit sans trop y croire. Je le vois affaibli, souffrant. Dans l’ascenseur, je ne le mets jamais face au miroir.  C’est dur…  Il faudrait pouvoir en parler, mais on n’est que deux brancardières dans l’équipe. S’il y en a une qui n’est pas bien et l’autre non plus, on ne va pas trop se réconforter. Et d’autres patients attendent, on doit continuer notre travail. 

Tous les matins on récupère donc notre planning et on regarde sur l’ordinateur pour voir s’il y a des rajouts depuis la veille. Sur une feuille de papier, tous les brancardages de la journée sont notés : le nom de la personne, la chambre, la destination. Dès que le patient est arrivé là où on doit l’emmener, on coche et, quand on revient le chercher, on coche à nouveau. Comme ça, on sait que la personne est bien remontée. On s’efforce d’être toujours à l’heure. Si, par exemple, au moment où on arrive dans la chambre, le patient  est toujours dans sa toilette, on prévient pour signaler qu’il y a du retard, de manière à ce que le service destinataire puisse avancer sur autre chose. On prend juste notre planning le matin, on vérifie que tout est à jour et ensuite, c’est nous qui le gérons au fur et à mesure des appels.

J’aime bien le contact avec les patients. Quand l’émotion me gagne, j’ai appris à ne pas la montrer. Il faut rassurer, arriver toujours avec le sourire. Ça fait du bien aux patients de voir quelqu’un qui n’a pas une tête triste. Quand je ne suis pas bien, personnellement, il faut que je prenne sur moi ! Ça fait quatre ans que je suis là. Je me suis formée sur le tas. Je ne ferai peut-être pas ce métier toute ma vie parce que mon corps en prend un coup mais je continue tant que je peux et tant que ça me plaît, même si c’est un peu répétitif. Je continue, surtout, parce que je sais que les patients ont confiance en nous, les brancardières.

Marion, brancardière

Le service des soins intensifs est situé au-delà des urgences, à l’extrémité de la cité sanitaire. J’ai mis des affaires dans une valise, rangé le classeur dans le sac bleu et j’accompagne mon épouse dans sa migration, sur son lit roulant, depuis ce service où elle a passé plusieurs jours, vers l’hospitalisation complète d’oncologie. Enfilades de couloirs bas de plafond, portes battantes. À chaque coude, le brancardier fait très attention de ne rien accrocher. Une ligne droite où court un léger courant d’air frais. On croise précautionneusement un autre patient brancardé. On accélère. Arrivés à l’autre bout des bâtiments, les portes d’un ascenseur siglé de rouge s’ouvrent sur un grand miroir dans lequel je m’aperçois, valise à la main près du lit roulant. Mais le brancardier a fait pivoter le lit qu’il fait entrer à reculons. Mon épouse aura les yeux tournés vers la sortie. J’apprécie.
La chambre est vaste et vide. Un soleil insistant se déverse, par les vitres, juste sur l’emplacement du lit. Je n’arrive pas à manipuler les stores électriques. Je coince une serviette dans la fenêtre pour faire un peu d’ombre. L’attente est brève. Aides-soignantes, infirmières, agents de service se succèdent. On baisse le store, on refait le lit, on branche un frigo, on s’enquiert des besoins, on apporte une carafe d’eau et une petite glace à la vanille en attendant le médecin de l’étage. Pas d’horaires de visites. Je pourrai venir autant de fois et aussi longtemps que je le voudrai. Jour et nuit.

Pierre, accompagnant

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