Propos recueillis par Roxane et mis en texte par Christine – février 2023

Je suis arrivé à Salers grâce aux Artisans que j’ai côtoyés pendant près de dix ans alors que je fabriquais des vêtements de création, avec ma compagne de l’époque. Nous les vendions dans des salons de métiers d’art et dans des expos artisanales. J’ai alors connu de multiples artisans de création, dont des savonniers. En 2000, alors que je me séparais de ma compagne, j’ai décidé qu’il fallait que je reste dans l’artisanat, c’était un milieu qui me plaisait bien. J’ai alors pensé à revendre des savons. J’ai donc pris du stock auprès des maîtres savonniers fabricants dont on m’avait donné l’adresse, pour les vendre dans des expos artisanales, ou des foires, qui ne duraient jamais plus de deux jours. Faire des expos régulièrement est un travail harassant du fait des déménagements de matériels et de stocks et ce à tous vents.
En 2005, toujours grâce à des connaissances, j’ai commencé à faire aussi le Marché de Noël de Montbéliard. Là, comme les autres marchands, je vendais dans un chalet pendant un mois, 7 jours sur 7, dans le froid et les intempéries, je faisais mon chiffre d’affaires. J’y ai rencontré un ami qui fabrique et vend des pâtes de fruits dans une boutique à Salers. J’en avais marre des expos. Je voulais une boutique fixe pour ne plus avoir à remballer mes savons tous les jours, ni avoir des frais de voiture et gasoil. Gilles, l’ami en question, m’a aidé à trouver un endroit dans ce village médiéval du Cantal et j’ai démarré ici en 2006. Depuis, j’y suis du 20 juin au 20 septembre et je m’installe au camping à la ferme, à huit-cents mètres de ma boutique. J’ai une caravane que je stocke à l’abri, l’hiver, dans la grange des voisins. Ce camping me permet de faire de sérieuses économies par rapport à une location d’appartement.

Le concept de ma boutique, la Cave à Savons, est de vendre des produits naturels, et le plus possible locaux. Sauf pour les savons d’Alep qui viennent de Syrie. Mon fournisseur du départ, dans le Puy-de-Dôme, convenait bien. C’est un artisan formé par un maître savonnier à Marseille. La qualité et l’efficacité de ses savons contre les petits problèmes de peau, sont reconnues depuis longtemps. J’ai développé ma gamme pour avoir une boutique bien nature, avec par exemple des savons ou shampoings bio au lait de chèvre, solides ou liquides. J’emploie encore le terme de « nature » même si une inspectrice des fraudes a tenu à souligner que ce terme était inapproprié. En effet, m’a-t-elle dit, “vos savons sont des produits finis, ils ne sont plus naturels”. J’ai dû changer toutes mes enseignes et affichages.
J’ai appris le contact client dans les premières années de ma vie professionnelle quand j’allais voir des clients pour dépanner leurs photocopieurs. Je naviguais du bureau de tabac jusqu’à la grosse société avec pignon sur rue qui avait des matériels lourds. C’est à ce moment-là que j’ai appris le relationnel : comment parler avec les gens, comment les aborder. Dans ma boutique à Salers, je décline la composition de mes savons. J’explique qu’ils font du bien, qu’ils luttent contre les petits problèmes de peau comme l’acnée ou le psoriasis. Comme ça marche bien, les clients reviennent d’un été à l’autre. Ils viennent « faire le plein » comme ils disent.
Quand ils reviennent en disant « je n’ai plus de boutons », je suis content. Je n’ai jamais eu de mauvais retours. Au bout de quatre-vingt-dix jours à rabâcher les mêmes choses dans la boutique, je pourrais en avoir marre. Mais c’est plus fort que moi, je suis tellement persuadé que ce savon, par exemple, est bon contre l’acné que j’ai envie qu’ils repartent avec, parce que je sais que ça va leur faire du bien. Ils sont contents, on plaisante. Certains, je les retrouve dans ma boutique depuis 16 ans déjà. Ce que j’aime, c’est le contact avec des gens habillés de drôle de façon, tatoués un peu, beaucoup… et de classes sociales différentes Je ne sais pas qui va rentrer dans la boutique d’une minute à l’autre, et je découvre. Je vois tout de suite à qui j’ai affaire. Si je vois un couple qui arrive avec une poussette et trois gamins, ça me fait peur. Ça ne va pas être facile, je sens que les enfants vont tout tripoter et que ça va m’énerver. Je leur dis une fois, deux fois et parfois – rarement – je me mets en colère, parce que je fais le travail des parents. Que ça leur plaise ou pas, tant pis.
Pendant trois mois, j’ouvre tous les jours de 10h30 à 19h30, et je dois aussi gérer mon stock, commander ce qui va manquer, vérifier ce que je reçois, faire des expéditions… Quand ma compagne est là, elle m’aide. Elle aime aussi vendre du savon. Elle tient souvent la boutique le matin pendant que je m’occupe du ménage et fais la vaisselle. C’est tout une organisation le camping ! On se complète et on se donne un peu d’air. Arrivé en fin de saison, je suis fatigué.
Le reste de l’année, je vends par correspondance, sur mon site internet, parce qu’à la maison je n’ai pas de boutique. C’est ce qui se rajoute à mes revenus. J’ai un statut de micro-entreprise. Heureusement je fais plein d’autres choses le reste de l’année. Je vends un peu de savon, mais je fais aussi de la musique, du théâtre. je m’occupe de ma parcelle de bois pour le poêle de la maison et de mes amis.
Je vais toucher la retraite dans un an et je vais continuer à travailler comme maintenant. Étant saisonnier je n’aurai qu’une petite retraite, mais en même temps je pourrai continuer. J’aime ce métier. Je n’ai pas de chef, personne pour me dire « ce n’est pas bien ce que tu as fait ». Je ne le supporterais pas, je suis assez grand pour savoir ce que j’ai à faire. Je dis merci à la vie qui m’a permis d’avoir les rencontres que j’ai eues, qui m’ont permis d’arriver à Salers. Parce que sans le relationnel avec ces artisans, je ne serai pas là. Ici, il y a les gens du village qui vivent là tout le temps, et puis les gens comme nous qui ne venons que trois mois par an. Finalement c’est un peu comme dans la vie courante de tous les villages. Les autochtones restent entre eux, ceux qui ne sont pas nés dans le village aussi. Moi, je me sens plus artisan que commerçant, bien que je ne fabrique pas les savons. Je suis avec des copains artisans depuis des années. Ils ne me disent pas, avec dédain, que je ne suis qu’un commerçant parce qu’ils savent que j’étais dans l’artisanat avant, ils savent que je revends des savons de copains artisans, donc ils me considèrent comme eux.
Jean