Propos recueillis et mis en texte par Roxane – janvier 2023

Il y a de cela neuf ans, en balade dans le Cantal, nous nous sommes arrêtés à Salers. Là, un artisan travaillant la corne m’a suggéré de prendre une boutique dans ce village touristique. Intéressé, je l’ai cherchée et trouvée facilement.
Avec Marilyne ma compagne, on s’y est installé sans trop prévoir d’y rester. J’ai tout de suite apporté mon petit matériel et je me suis mis à travailler dur pour avoir suffisamment de stock à vendre et combler les espaces, garnir les rayonnages. J’essayais de produire en même temps que je vendais. Je mangeais dans une petite cuisine aménagée au fond avec un petit coin toilette, je dormais sur un canapé que je déployais chaque soir. C’est dire la petite vie de saltimbanque !
Cela a duré trois mois. Je ne referai plus jamais cela. Dormir à côté de mes créations est impossible, parce que j’y mets tellement de mon âme, que me réveiller en les regardant n’est pas toujours très glamour. Enfin c’est mon ressenti. Mais comme cette saison là a été satisfaisante, nous avons décidé de continuer. Ensuite nous nous sommes installés dans le village. Depuis nous avons eu l’opportunité de louer une plus grande boutique mieux située, sur la place du village, là où le chaland passe obligatoirement. Nous ouvrons dès les vacances de Pâques jusqu’à fin septembre avec des petits allers-retours dans la Loire où j’ai mon atelier principal et dans lequel j’ai tout le matériel nécessaire pour faire des pièces plus complexes. Des créations que je ne peux pas réaliser ici sur place. Au fil des ans, Maryline et moi avons pu réunir nos deux fabrications dans la nouvelle boutique. Elle a le don de mettre en scène les pièces, de leur donner une âme pour les mettre en valeur et favoriser ainsi la vente. Aujourd’hui un troisième verrier est venu nous rejoindre avec ses pièces qu’il expose en dépôt-vente. Le mariage des trois techniques donne le sentiment d’une osmose pour les clients. Cela nous a permis de mettre encore plus en valeur le travail du verre.
Pour se rendre crédible dans ce métier il faut montrer et expliquer ce que l’on fait. C’est une forme de séduction pour les clients. Ils ont le privilège de me voir faire en même temps que j’explique mes gestes avec mes petits outils. Ce n’est pas évident, parce que je travaille avec une flamme qui chauffe à 1200°. Il me faut rester concentré sinon, je peux facilement me brûler. Pourtant le chalumeau est devenu mon meilleur ami, je vis avec lui depuis 45 ans. C’est un compagnon de route qui me permet d’aller au bout de mes idées, au bout de mes créations, au bout de mes délires. Le verre est une matière très difficile à travailler. Au toucher il est d’aspect un peu glacial, mais dès que je l’approche d’une flamme il devient magistralement magique. Les stagiaires qui viennent s’initier au travail du verre, « tombent en amour » comme disent les Canadiens.
Je travaille également pour des laboratoires qui utilisent des pièces en verre. Mais les créations artistiques qui sortent de mon esprit sont aussi fonctionnelles. J’ai été un des premiers à relancer les encriers et plumes de verre, en France, et le premier verrier à les présenter au Canada en 1997. Je suis diplômé Meilleur Ouvrier de France. Par ailleurs Je suis fasciné par tout ce qui est aquatique. Je fabrique des poissons pour l’aquariophilie. J’ai mis au point une technique qui permet aux poissons en verre de bouger, de vibrer dans les eaux d’un aquarium.
Ma vie se découpe ainsi : à peu près six mois à Salers, six mois chez nous. Dans cette vie nomade j’ai trouvé finalement un certain équilibre.
J’ai toujours hâte de revenir dans cette région parce que je ressens, peut-être que je me suis mis ça en tête, une certaine puissance de la terre. Je ne sais pas l’expliquer. C’est une terre de volcans qui me stimule. Si le climat n’était pas si rude je me verrais bien passer ma retraite ici de façon définitive. Mon intégration avec les autochtones la première année a été très difficile, comme partout ailleurs ! Je me suis attaché à toujours dire bonjour même si pendant longtemps, ils ont détourné la tête. Ensuite nous avons fait l’acquisition d’ une maison dans le village. De la sorte, nous avons montré que nous ne venons pas ici faire le beau en saison d’été, et pour l’hiver, aller se mettre les pieds au soleil. Nous travaillons toute l’année. Tout cela nous a rendus un peu moins « étrangers » .
Pendant l’hiver, en effet, Maryline et moi vivons et travaillons, près de Roanne, un deuxième « chez nous ». Nous avons chacun notre atelier, une porte coulissante nous sépare. C’est juste pour éviter la poussière que mes pièces ne supportent pas. Maryline dans sa fabrication, travaille une autre technique, qui nécessite un matériel différent. Nos verres ne sont pas du tout compatibles. Seule Maryline rentre dans mon atelier. On reste très rituels et le matin, nous tenons, quelle que soit l’heure, à notre petit déjeuner ensemble. C’est notre moment. Chacun raconte à l’autre ce qu’il va faire dans la journée. Ça peut varier, c’est l’avantage de travailler pour soi, chez soi. Et puis on prend notre temps on n’a ni pendule, ni trajet à faire. Nous avons juste, quelques 20 m. à faire de la maison d’habitation à l’atelier. J’appelle cela un grand luxe de vie !
Je sais précisément à l’avance ce que je vais faire chaque jour de la semaine. Il faut dire que mes gestes deviennent tellement instinctifs que j’avance à grande vitesse et comme je travaille toujours en musique ça se déroule bien . Je suis, je pense, assez organisé pour qu’en 4 ou 5 h, je fasse ma journée. Ce qui me permet l’après-midi de prendre mon vélo, s’il fait beau, et d’aller me balader avec Maryline. Et puis aussi je me donne quartier libre le vendredi après-midi. Je ressors mes petits dessins et là je me laisse divaguer sur une pièce. Je dessine toujours mes pièces avant de les réaliser, je ne suis créatif que devant une feuille de papier. Après j’étudie le montage et comment pallier à toutes les petites choses désagréables auxquelles on n’a pas pensées. Je garde de la rigueur au travail, ce ne peut-être que comme ça ! Tous les moments de distraction que je m’aménage me permettent de pouvoir justement mieux produire. Comme on dit « bien dans sa tête bien dans sa peau. »
J’ai eu la chance, en fin de cycle secondaire, de rencontrer un conseiller d’orientation très sympa, qui a pris sur son temps personnel pour me faire découvrir une société, sur Lyon, qui travaille le verre de laboratoire. Je ne voulais plus continuer mes études parce qu’être prof de gym, ce que je voulais faire, demandait d’être bon en math, ce que je n’étais pas. Par contre, j’avais quelques facilités en dessin et en travaux manuels. La rencontre avec le verre a fait tilt dans ma tête. Quand on imagine ce métier, de souffleur de verre, on voit des gens en blouses blanches qui travaillent derrière une flamme avec des tubes de verre dans les mains. Les blouses blanches c’est parce que le verre se travaille dans un environnement de grande propreté et hygiène. J’ai toujours trouvé que cet uniforme se prêtait bien à ce travail et j’ai été très fier de le porter. Quand j’en parle j’ai des petits frissons parce que je n’ai jamais fait autre chose dans ma vie que de travailler le verre. C’est vraiment un métier qui me colle à la peau. Je ne sais pas ce que j’aurais fait autrement, si ce n’est faire de la musique peut-être.
Pascal