Propos recueillis et mis en texte avec Roxane – février 2023

Pascal, mon compagnon, a décrit comment nous sommes arrivés à Salers. J’ai envie d’en dire aussi quelques mots. Nous étions harassés, lassés des nombreuses expositions, pour vendre nos pièces. Nous avions besoin de nous sentir bien dans un environnement, d’avoir pignon sur rue et fidéliser ainsi une clientèle. Nous avons trouvé une boutique à Salers cette année-là. Dans un premier temps, nous y avons campé, entre le petit atelier de démonstration, l’espace d’exposition de nos produits et l’espace cuisine et commodités. On avait de l’eau chaude ! Le soir, on poussait nos pièces, nos créations, pour ouvrir le canapé-lit. C’était vraiment très dur de rester dans cette boutique jour et nuit au milieu de nos pièces, quand bien même les avait-on créées et aimées. On ne souhaitait pas trop investir, puisqu’on ne savait pas non plus où on mettait les pieds. Au bout d’une saison on a su : on avait bien vendu. Alors nous avons saisi des opportunités et nous nous sommes installés dans une petite maison à côté du magasin. Comme cela les deux vies travail et profession étaient bien différenciées.
L’ambiance, ici à Salers, entre artisans est sympathique, on se connait depuis longtemps, on s’offre des apéros dehors dans la rue, l’été. Par contre, l’intégration avec les autochtones fut plus compliquée. Ni bien, ni mal, voilà ce que je peux en dire. Il y a toujours de la méfiance. Ils attendent qu’on participe aussi à la vie du village, alors nous utilisons les services et les commerces le plus souvent possible.
En 2022 c’est notre 9e saison à Salers. Ainsi depuis 2014, nous partageons l’année entre notre maison où sont installés nos deux ateliers, près de Roanne et une deuxième maison et une boutique à Salers.
Dans mon atelier, à Roanne, je fabrique deux types de pièces. Je ne travaille pas au chalumeau comme Pascal, mon métier est créatrice verrier. J’utilise la technique du verre fusionné qu’on appelle le fusing-thermoformage. Ce sont des plaques de verre translucide sur lequel j’applique mes couleurs sous forme de poudre de copeaux de verre, ou de fines baguettes de verre semblables à des spaghetti – les stringers – plus ou moins épaisses. Ce peut être aussi des oxydes que j’intègre dans le verre grâce à la chaleur, en les superposant par couche successives sur mes plaques. Une fois que j’ai préparé toutes mes pièces à froid, c’est la chaleur du four qui va créer. : mes couleurs vont se mêler, se mélanger. Selon la qualité du verre on ne peut pas intégrer tout ce qu’on souhaiterait. C’est une contrainte physique.
Je ne dessine pas, je crée au fur et à mesure en faisant ce. Par contre j’écris les étapes qui me permettent d’arriver au bout. Combien de couches de couleurs faudra-t-il et quel temps de cuisson ? Quelle fusion au thermoformage ? Le résultat n’est pas toujours là du premier coup. Je suis satisfaite quand l’objet créé me convient, tout bêtement. Je n’analyse pas pourquoi. Par contre quand je suis déçue, je suis tenace, je vais essayer de comprendre pourquoi ça n’aboutit pas au résultat escompté. Alors je change mes procédures pour atteindre ce que j’attends.
C’est la nature qui m’inspire, notamment les fleurs et les arts de la table. À travers des magazines je suis les tendances déco des plats, couverts, portes couteaux, dessous de verre, de bouteilles. Je sculpte aussi avec la chaleur. J’adore la chaleur. Je m’inspire de tout ça et je mets « à ma sauce.» J’aime ce que je fais
Dans la boutique, pour moi vendre est plus difficile, parce que je me sépare de mes pièces, parce que c’est un autre métier que je n’ai pas appris et c’est plus compliqué. Quand on laisse partir une pièce, c’est une part de nous qui s’en va. Souvent je le dis aux clients : « vous achetez une part de moi » Alors je commence à parler de mon objet. J’explique son histoire, sa fabrication. J’essaie de séduire le client, je ne force pas la vente.
J’ai un parcours pas du tout orienté sur la création artistique. Pourtant depuis toute petite j’ai été manuelle, mon papa artisan dans le bâtiment était un très grand bricoleur qui m’a appris à poser du carrelage par exemple. Il m’a fait aimer le manuel.
J’ai un bac littéraire, puis je me suis formée à un métier dans le tourisme. J’étais organisatrice d’événements. Lors d’un festival du Verre, j’ai rencontré de nombreux verriers. J’ai étudié cette matière et ai suivi une formation pour apprendre à travailler le fusing-thermoformage. À partir de ce moment, j’ai laissé tomber tous les autres boulots, mais pas tout de suite au départ. J’ai la chance d’avoir toujours aimé tout ce que j’ai fait dans la vie, tous mes métiers, je veux dire. Donc j’ai toujours eu un peu du mal à décrocher. Il m’a fallu du temps pour trouver des objets de créations et du temps pour communiquer, du temps pour apprendre à le vendre. Il fut une période où je faisais deux métiers avec, en journée des horaires de bureau , j’étais secrétaire de mairie, et le soir j’allais dans mon atelier. J’avais envie de ça, c’était mon évasion quelque part.
Ces métiers d’artisanat renferment plusieurs métiers : créateur, vendeur, comptable, communiquant…De plus ils sont nomades, il faut savoir et aimer scinder sa vie en différents lieux, entre différents environnements. J’aime cela. Je ne suis pas faite pour une vie sédentaire avec des horaires très précis. Voilà, c’est mon choix de vie. Une vie à l’envers, c’est clair, par rapport aux autres. Cette vie-là a bien été acceptée par mes filles. Elles nous ont suivis, petites, puis elles ont appris à vivre avec et autour de ça. D’ailleurs j’ai une fille qui travaille le week-end, samedi dimanche, dans l’esthétique et qui s’épanouit aussi.
Maryline