D’habitude, tous les quatre jours on prépare notre valise

Alice, musicienne dans le groupe des Ogres de Barback

Parole du 22 mai, mise en texte par Martine 

Il y a plein de manières d’être musicienne, moi je fais essentiellement des concerts comme violoncelliste, contrebassiste et tromboniste, ce sont mes trois instruments principaux. Je fais partie du groupe des Ogres de Barback, depuis le début, il y a plus de vingt ans. Pour l’instant on a annulé une trentaine de concerts, et on va encore en annuler d’autres.

On s’est un peu rabattu sur ce qu’on peut faire chez nous, c’est-à-dire les disques. En ce moment et en général c’est surtout moi qui m’occupe du travail post enregistrement et de la finalisation des disques. Là, j’en ai quasiment terminé un pendant ces deux derniers mois, je ne me suis pas ennuyée. On a eu « du bol » finalement parce qu‘on a enregistré les dix derniers concerts en multi-pistes, c’est-à-dire en très bonne qualité pour éventuellement en faire quelque chose, un jour. Concrètement je fais ce que l’on appelle de l’éditing, c’est un truc un peu complexe. Quand on fait des enregistrements, après on se retrouve avec plein de pistes, plein de prises de chaque personne et moi je les réunis et je choisis les meilleurs morceaux, je fignole tout. A la fin ils me font des retours et après on retravaille le montage de chaque morceau et ensuite celui du disque puis on fait le mixage ensemble. Ça on le fait très régulièrement à distance depuis déjà quelques années. On fait environ un disque par an. Et maintenant on a un disque, mais comme c’est un live, si on ne continue pas la tournée en septembre, on ne voit pas l’intérêt de le sortir parce que c’est vraiment un souvenir que les gens auront envie d’acheter à la sortie de nos concerts… ce n’est pas comme un nouvel album.  Et le produire comme ça, au milieu de rien, sur un moment où on n’est même pas en tournée, ça va faire flop ! 

Quatre musiciens sur scène, Alice, ses frères et sa soeur

On est quatre musiciens sur scène, avec ma sœur jumelle et mes deux frères, tous multi-instrumentistes. C’est un de mes frères qui chante, les autres chantent très peu. En temps normal on fait entre soixante et quatre-vingt concerts par an en tournée. En ce moment, on est une vingtaine parce que depuis la tournée commencée il y a un an, on avait embauché d’autres musiciens. On a un sonorisateur, un éclairagiste, et Seb, le régisseur. Il est aussi notre tourneur, il s’occupe de trouver les dates et il vient avec nous parce que comme c’est lui qui a tout organisé, il sait où on mange, où on dort, et où on joue, c’est lui qui sait tout. 

Dans l’équipe on a une messagerie interne où on se fait souvent des petits coucous, on s’envoie des photos, des blagues, et c’est vrai que là ça commence à faire vraiment long sachant qu’on ne sait pas jusqu’à quand ça va durer. On est vraiment en attente de pouvoir se retrouver, être en tournée, sur la route, c’est vraiment ça qui nous botte, qui nous plaît, être ensemble à découvrir une ville, une salle, un public et on ne l’a plus. On sait que jusqu’à fin août on n’a rien, tout a été annulé à part une date. Au début on était sur une reprise fin mai, puis fin juin, et finalement, ça a reculé. Donc on croise les doigts. Si ça marche, on a une quarantaine de dates après puisqu’on a toutes celles qui ont été reportées plus celles qu’on avait déjà. Ça veut dire que le 28 août il faut qu’on soit prêts, et du coup et il faut qu’on se retrouve mi-août pour tout remettre en place. On joue surtout avec des instruments acoustiques, on n’a pas besoin de sonorisation pour répéter, en général, on s’installe un peu n’importe où. 

On est un peu des boulimiques de travail et tous les quatre on a la même perception de cette période. C’est une chose qu’on vit assez rarement sur une aussi longue durée : pouvoir se poser chez soi, profiter de sa famille, de la vie. D’habitude tous les quatre jours on prépare notre valise et là, la valise est posée.  On se dit, que l’on ne va pas non plus rester sans rien faire, même si on pourrait, effectivement, ne rien faire. Nous en profitons pour écrire tranquillement de nouvelles chansons pour enfants. Comme ça quand on repartira on n’aura pas l’impression d’avoir eu un trou de néant. Depuis longtemps on avait le projet de travailler sur un quatrième disque « jeune public », on va le faire bien plus tôt que ce qu’on avait imaginé.

On a l’habitude de travailler chacun chez soi pour ensuite tout réunir en répétition

Il faut dire que ça fait quand même quelques années, comme on habite loin les uns des autres, qu’on a vraiment l’habitude de s’envoyer des choses par internet et de travailler chacun chez soi pour ensuite tout réunir en répétition. Parfois l’un d’entre nous a juste un texte, demande aux autres s’ils n’auraient pas une musique qui irait avec. Donc là on a fait un peu comme d’habitude, on écoute les morceaux des autres et on commence à imaginer des arrangements, ce qu’on pourrait jouer, modifier si on a envie de modifier des choses. C’est mon frère, qui compose les chansons qu’il chante lui-même. Nous, les trois autres, on est plutôt arrangeurs, musiciens. C’est différent par contre pour les disques pour enfants dont on écrit tous les quatre des chansons depuis le début, on a plus de facilités. On a chacun quatre ou cinq chansons à présenter aux autres, elles sont déjà en forme, textes et musiques.

On a fait une vidéo en confinement comme d’autres artistes, on n’avait jamais fait le pas, jouer ensemble, de loin. Quand on l’a fait, on se disait ça va être pourri. On a fait ça parce que vraiment on n’avait pas le choix, c’était la première fois. Une vidéo en confinement c’est-à-dire chacun chez soi, on s’enregistre sur un morceau devant une caméra et un bon micro et après on réunit tout, ma sœur a fait le montage vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=b9Df0XvdEfU et on l’a posté sur le Facebook des Ogres. Donc, là, on a fait un pas dans l’évolution de notre travail. Même si ce n’est pas forcément un truc qui nous plaît, on est content d’avoir réussi à faire ça et d’avoir essayé autre chose. Maintenant on est quand même pressés de se retrouver en vrai.

Comme dans l’équipe on est un peu des acharnés, on se fait une réunion tous les mercredis matin par zoom, depuis le début, pendant deux heures. On discute ensemble et on regarde comment les choses évoluent. C’est là que l’on a appris que la date du retour reculait encore. Seb, qui est au bureau, avec Yannick et Julien, pour toute l’organisation du groupe, tournées, promo, disques (etc…), s’est tapé le « sale boulot », il est en lien avec toutes les salles et il a accumulé toutes les mauvaises nouvelles. Il nous fait le récit de tout ce qui s’annule. Les bonnes nouvelles c’est quand les concerts sont reportés et les mauvaises c’est quand ils sont vraiment annulés. Et on a eu notamment quelques concerts comme par exemple un Olympia, c’était notre dixième, une date très importante qu’on préparait depuis deux ans. Le concert était mi-mars et mi-mars on ne savait pas encore que ça reprendrait si tard. Du coup, on était super contents de l’avoir reporté fin mai, mais, fin mai c’est encore annulé. Et du coup, c’est Seb qui a organisé deux fois le concert pour rien.

Certaines rumeurs disent que de septembre à décembre il n’y aura pas de concert non plus, et là, je serai beaucoup plus inquiète ! En fait, pour l’instant tout va bien… si ça reprend le 28 août. Si ça ne reprend pas, on va être dans une situation extrêmement délicate ! Surtout pour la structure du groupe. En étant indépendants, on n’aura personne pour nous aider. Vraiment, on sent qu’il va falloir qu’on change beaucoup de choses. On joue souvent dans des salles autonomes, ou pour des petites associations, et pour certains concerts annulés, on peut avoir du chômage partiel. C’est déjà pas mal. A la fin de nos droits on regarde tout ce qu’on a fait avant et si on a le bon nombre d’heures on peut reporter et repartir pour un an. Donc on a tous regardé quand sera notre fin de droits. Il se trouve que ça ne va pas trop mal pour l’instant. Mais c’est plus tard que ça va se corser parce que tous les concerts annulés et pas reportés sont perdus, on risque de perdre beaucoup de droits. Comme on est un groupe auto-produit et totalement indépendant, on partage aussi un petit peu tout ce qui est travail de disque, travail administratif.  Chacun un peu son rôle mais on décide tous ensemble. La SARL produit, distribue, vend tous nos disques et nous paye. On a « signé avec nous-même ». Normalement nos disques sont vendus partout, enfin, chez les bons disquaires ! Ensuite on a l’association Les Ogres de Barback, qui organise les tournées, les concerts ! Il y a deux salariés et demi pour les deux structures, il y a des locaux, donc des loyers, un crédit pour un camion, du matériel de location de sonorisation loué pour deux ans pour toute la tournée, on a beaucoup de frais. Jusqu’à présent on arrive à s’en sortir sur les économies des concerts précédents mais vu qu’il n’y a plus de concert, là, c’est compliqué à faire vivre s’il ne se passe plus rien. On ne pourra pas tenir un an. On était assez pressés de savoir ce qui allait se passer pour les intermittents du spectacle, s’il allait réellement y avoir une année blanche. Pour l’instant il y a eu des annonces mais rien n’a été concrétisé. Il y a plein d’amis intermittents du spectacle qui ont effectivement leur date anniversaire qui arrive maintenant et Pôle emploi leur dit qu’il ne peut pas s’occuper d’eux. Ils n’ont rien ! On a été cosignataires de plusieurs pétitions, mais on n’est pas actifs, les syndicats en qui on a une totale confiance se battent pour tout le monde. 

A mes proches je leur dis que pour l’instant c’est un petit peu l’inquiétude qui règne même si mes enfants m’ont vu travailler. Mon conjoint est dans le même milieu, il est ingénieur du son, c’est lui qui fait le mixage du disque, il a pris le relais. Moi je travaillais le matin dans le studio à 50 mètres de la maison. Je revenais le midi, et j’y retournais l’après-midi. On a un peu pris un rythme de bureau. Jusqu’à présent il n’y a pas eu de grands moments sans travail mais ça va commencer à venir. Est-ce qu’il faut qu’on aille chercher un autre boulot pendant quelque temps ? Est-ce qu’il faut qu’on trouve des sous autrement ? On ne sait pas, pas forcément des sous pour nous personnellement mais pour la structure des Ogres de Barback. On a encore des droits d’auteur. 

Parole d’Alice, le 22 mai, mise en texte par Martine 

A vous la terre, la version à distance travaillée par les Ogres de Barback pendant la crise sanitaire https://www.youtube.com/watch?v=b9Df0XvdEfU

Une réflexion sur « D’habitude, tous les quatre jours on prépare notre valise »

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