Dernièrement, j’ai vu une dame qui ne pensait qu’à une seule chose : « Je vais mourir ». « Tous les gens qui ont le cancer meurent », disait-elle. L’infirmière lui a proposé de me rencontrer. Je me suis présentée : « Bonjour, je m’appelle Christine. Je suis patiente ressource, c’est-à-dire que j’ai eu un cancer et que j’ai accepté de partager mon expérience. Mais vous pouvez me mettre à la porte… »
[…] Pour ce qui me concerne, j’ai parfois douté de ma guérison mais je n’ai jamais pensé à la mort. Ce n’est que quelques années plus tard, quand ma fille m’a dit: « Tu as failli mourir » que j’ai réalisé qu’effectivement, cela aurait pu m’arriver. Sur le moment, je n’ai jamais pensé à ça.
[…] Je revendique le fait d’avoir eu un cancer. Ce n’est pas tabou, ça ne me gêne absolument pas qu’on en parle. Je sais que, quelquefois, au gré des conversations, ça sort comme ça. C’est arrivé quand on était en vacances l’année dernière. Une personne est venue à côté de moi, elle venait d’apprendre que sa fille avait passé une mammographie. Elle était bouleversée. On était une douzaine autour de l’apéritif. Je lui dis « Tu sais, on s’en sort. Regarde moi : tu vois, je suis là. J’ai eu ça. » On a parlé. Je me suis mise à lui raconter mon expérience. À un moment, mon mari me donne un coup de coude : il ne restait plus que deux personnes. Tous les autres étaient partis. Comme si le simple fait de prononcer le mot « cancer » entraînait je ne sais quelle malédiction. « Qu’est-ce que tu as fait pour attraper ça ? Tu as mal mangé ? Tu n’as pas fait de sport ? » Il y a toujours un besoin de chercher une raison. Si vous ne vous justifiez pas, on vous rend responsable de ce qui vous arrive. Les infirmières m’envoient beaucoup voir des gens qui veulent savoir pourquoi. Mais je leur dis « Vous perdez votre énergie en cherchant ça. Toute l’énergie que vous mettez à chercher, vous ne la consacrez pas à vous battre et à vivre jusqu’au bout. » […]
Christine, personne ressource
L’idée de devenir « patiente-ressource » s’était imposée comme une évidence. Mon épouse avait pris sa valise, sa tablette et ses bloc-notes et s’était rendue à Angers pour une première formation. Elle y était allée avec le même enthousiasme que lorsqu’elle partait retrouver ses élèves ou ses stagiaires. Quand elle était revenue, elle m’avait décrit comment l’expérience du cancer avait d’emblée fait sauter les barrières entre les participants, comment tous s’étaient retrouvés avec la même envie d’avancer, de bousculer les convenances, de transgresser les consignes trop formelles des formateurs. Comme s’il n’y avait rien de plus urgent que de vivre, de faire vivre et de se moquer de la vie.
Il n’y a pas eu de seconde formation. La sinistre prédiction du médecin-conseil s’est réalisée. Mon épouse n’a pas pu être « patiente-ressource » – du moins, pas de son vivant – Mais son combat a été magnifique. La ressource, c’est la vie que les soignants et tous les personnels de la clinique ont défendue sans relâche… la vie qu’elle a vécue intensément jusqu’au bout.
Pierre, accompagnant
Retour vers soigner le cancer 19/20 : Sandrine, agent de service hospitalier, service oncologie
Soigner le cancer, avant-propos par Pierre Madiot, présentation du livre à paraître aux Éditions de l’Atelier