[…] Les infirmières, les aides-soignantes, les ASH disent souvent que les patients sont courageux. Moi, ce qui m’impressionne, c’est aussi le courage de tous les personnels. Je pense qu’ils ne se rendent pas compte à quel point ils peuvent apporter de l’énergie aux patients qui, pour beaucoup, puisent leur courage dans le fait d’être entourés par leur famille et par des soignants et des agents qui sont là sans relâche, qui les accompagnent, qui les soutiennent.
Toutes les histoires de vie sont certes différentes, tous les cas sont particuliers, mais il me semble que l’unité de notre équipe et son dynamisme contribuent à ce que les gens se sentent en sécurité et, hospitalisés, gardent de l’espoir parce qu’il y a de la vie autour d’eux. Alors, ils trouvent le courage de vivre malgré la maladie. Pour d’autres, ce n’est pas possible : ils choisissent d’arrêter. Plutôt que d’arrêter de vivre, je pense qu’ils veulent arrêter de souffrir parce que la vie a perdu son sens : ce n’est plus que de la souffrance. Or, la souffrance n’est pas que physique, elle englobe le fait de ne plus avoir sa place dans la société, dans sa famille, ne plus avoir de rôle. Il y a des gens pour qui savoir que ça ne reviendra pas est insupportable. Je vois ainsi des patients s’éteindre dans la solitude.
[…] Voir des patients souffrir m’a toujours bouleversée… J’ai fait de la médecine pour soigner, c’est-à-dire prendre soin, même si ce n’est pas forcément guérir. […] Alors, je passe beaucoup de temps avec mes patients pour connaître l’histoire de leur douleur. […] J’essaie de déchiffrer tout ça pour mettre en place une prise en charge multiple : les médicaments, la réhabilitation physique, la récupération de l’autonomie, la prise en charge par les kinés, la prise en charge psychologique, la prise en charge parfois sociale, alimentaire, nutritionnelle… Il n’y a pas d’autre réponse que globale.
[…] À chaque fois qu’une visite est annoncée, mon épouse coiffe son turban bleu. Les proches entrent et son visage s’éclaire d’un magnifique sourire : « Vous voilà… ». Quand ça va mieux, elle aime bien taquiner l’un ou l’autre, demander des nouvelles, serrer des mains dans les siennes, se moquer d’elle-même, donner des conseils. C’est sa vie. Dès qu’on se retrouve seuls elle s’assoupit. Voir ceux qu’elle aime l’épuise, mais c’est par eux qu’elle existe…
Au cours d’une hospitalisation précédente, alors que nous avions encore bon espoir, je n’avais pas prêté attention au patient de la chambre voisine. J’ai vu un jour la médecin de l’étage se diriger avec hâte vers sa porte. Elle a échangé un mot avec l’infirmière et est entrée, préoccupée, avec à la main ce qui ressemblait à un dossier de résultats médicaux. Le lendemain, la chambre était vide et nettoyée de fond en comble. C’est à peine si j’avais remarqué que personne n’était venu accompagner les derniers instants de ce patient silencieux.
Pierre, accompagnant
Retour vers soigner le cancer 17/20 : Laurence, infirmière de nuit
À suivre, soigner le cancer 19/20 : Sandrine, agent de service hospitalier, service oncologie
Soigner le cancer, avant-propos par Pierre Madiot, présentation du livre à paraître aux Éditions de l’Atelier