[…] La nuit, quand, avec l’aide-soignante, j’entre dans une chambre, la lumière du couloir me permet de voir le patient dans son lit. Dans la pénombre, pour vérifier sa respiration, je regarde à quel rythme le drap se soulève. Et j’écoute.
Si le patient est perfusé, j’approche pour voir si tout se passe normalement. À ce moment-là, je regarde son visage, à moins qu’il ne soit caché sous les draps… Lorsque je dois remplacer une perfusion, je viens plus près, je cherche parfois discrètement le robinet. Mais la personne sent quelqu’un qui la touche. Elle sursaute… et moi aussi parce que je suis aussi surprise qu’elle. Alors je lance une plaisanterie pour rendre la situation un peu cocasse. Quand nous avons besoin de plus de lumière, nous ouvrons la porte des toilettes dont nous allumons les lampes. A côté du lit, il y a bien une petite veilleuse mais elle n’éclaire pas beaucoup. Elle sert juste à ce que le patient ne soit pas dans l’obscurité totale, et qu’il se repère s’il se réveille en pleine nuit. Il se souvient alors qu’il est à l’hôpital et aperçoit la lueur de sa sonnette qui est éclairée de l’intérieur. Il peut appeler…[…]
Parfois, devant une crise de douleur, on se sent impuissantes.
« – Entre 1 et 10, à quel degré situez-vous votre douleur ?
– Je ne sais pas… C’est… beaucoup…
– Comment avez-vous mal ?
– J’ai mal partout…»
Je mets un calmant, mais il faut le temps qu’il fasse de l’effet. C’est long. Je peux dire : « Ça va agir… » Mais je sens que la personne souffre. Ça se voit sur son visage. Si la douleur se prolonge, j’appelle le médecin qui me prescrit autre chose. Mais ce n’est pas forcément efficace… On peut, parfois, prendre une main, masser. […]
« J’ai mal partout » veut peut-être aussi dire « J’en ai ras le bol ». Ce dont le patient a alors besoin, c’est d’une présence. Quand, la nuit, il n’arrive pas à dormir, il faut simplement s’asseoir à côté de lui et l’écouter. […]
[…] Au milieu de la nuit, c’est le silence qui m’alerte, la respiration de mon épouse a changé de ton, elle bouge doucement dans son lit : elle est réveillée. Je me redresse et me penche au-dessus d’elle, pose ma main sur son épaule : « Est-ce que tu as mal ? ». Oui. Elle cherche sa sonnette, on la trouve. La silhouette de l’infirmière et d’un aide-soignant se détachent, dans l’embrasure de la porte, sur la lumière du couloir qui entre tout à coup avec parcimonie. Ils s’enquièrent à voix basse, s’affairent. Augmentation du débit de la pompe à morphine, ajout d’un antalgique dans la perfusion. Ils reviendront à chaque appel. Assis sur mon lit de camp, j’assiste, impuissant à leur ballet. Est-ce que j’ai besoin de quelque chose ? Non, merci, ça va aller… Finalement, je tiens la main de mon épouse qui se rendort d’un sommeil lourd, comme on tombe dans un gouffre sans fond.
Pierre, accompagnant
Retour vers soigner le cancer 16/20 : Isabelle, psychologue au service d’oncologie
À suivre, soigner le cancer 18/20 : Camille, médecin en hospitalisation complète
Soigner le cancer, avant-propos par Pierre Madiot, présentation du livre à paraître aux Éditions de l’Atelier