Soigner le cancer 16/20 – « Est-ce que c’est acceptable tout ça? »

Isabelle, psychologue au service d’oncologie

[…] Les réponses que j’apporte aux demandes des patients ou de leurs familles génèrent de l’apaisement, du soutien parce que, simplement, je montre que je suis disponible pour entendre chacun, être à l’écoute.

Récemment, j’ai aidé une femme hospitalisée depuis des mois à renouer avec sa fille qui ne répondait pas aux SMS, qui ne téléphonait jamais: « Pourquoi ne pas lui envoyer une lettre? On ne dit pas grand-chose avec un SMS. Expliquez votre situation. Là où vous en êtes, où vous êtes. » Elle a rédigé le courrier. Elle me l’a fait lire. Elle l’a envoyé. Et sa fille est venue. « Je n’avais pas envie de partir sans avoir fait la paix avec ma fille… » Feront-elles la paix ? Ça leur appartient. En tout cas, le lien est rétabli. J’ai l’impression de faire de belles rencontres, malgré la souffrance, avec de l’émotion, de la sincérité, un humour parfois inattendu, des échanges étonnants. Je vois surtout qu’en présence d’une maladie comme le cancer, les gens vont à l’essentiel. Ils ne s’embarrassent plus du superflu. À proximité de la mort, il y a des choses à dire. Ils les disent. Il y a des choses à faire. Ils les font quand c’est possible. Je vois des gens hospitalisés, alités et qui sont dans la vie, qui ont du désir, qui ont envie de vivre. C’est beau. Ils sont là. Entièrement. Pour d’autres, en fin de vie, la demande va être de se sentir soulagés des douleurs physiques et de la souffrance psychique. Le psychologue en oncologie a cette tâche de maintenir jusqu’au bout une parole possible, une vie psychique mise à mal par la maladie, les traitements. 

La confiance et la complicité entre les membres de l’équipe sont très grandes. Ça communique, ça travaille. Les temps d’échanges institutionnels font que l’information circule. Mais peut-être que la pathologie que nous soignons, et la présence de la mort qui fait partie du quotidien des soignants de ce service, nous amènent à resserrer les liens, et nous obligent, nous aussi, à aller à l’essentiel. […]

[…] En sortant de la chambre où mon fils m’a relayé, j’aperçois dans le couloir, tout près, notre oncologue référent en conversation avec le médecin de l’étage. Il me voit. Il est grave. Je descends à la cafétéria avaler un sandwich. Pendant ce temps, c’est mon fils qui reçoit la nouvelle en même temps que mon épouse : il n’y a plus de traitement possible. Au retour, mon fils m’envoie dans le bureau de l’oncologue. J’ai compris, je m’assieds près du lit. Il me demande si je veux qu’il m’accompagne. Non, je vais y aller… L’oncologue m’attend entre deux consultations. J’avais beau être conscient de la situation, les mots, de simple constat, sonnent alors comme un verdict. Je sens mes défenses céder comme un barrage de sable près d’être balayé. J’essaie de contenir…. Je rejoins mon épouse. Elle me regarde : « Ça a dû être dur… ». Je n’en dis rien. Elle non plus… Un peu plus tard, dans le couloir, je croise la psychologue, l’arrête, je bredouille. Elle m’écoute et m’entraîne dans le salon des familles.

Pierre, accompagnant

Retour vers soigner le cancer 15/20 : Véronique, aide-soignante en oncologie

À suivre, soigner le cancer 17/20 : Laurence, infirmière de nuit

Soigner le cancer, avant-propos par Pierre Madiot, présentation du livre à paraître aux Éditions de l’Atelier

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