[…] J’invite donc la dame et son mari à entrer dans mon bureau encore baigné de soleil en cette fin d’après-midi. J’ai voulu que mes locaux soient lumineux, que chaque pièce ouvre largement sur l’extérieur par de grandes baies. Nous nous installons autour de la table en verre et je commence par écouter. La dame redoute particulièrement la perspective de perdre ses cheveux.
Pour elle, cela va révéler au grand jour un cancer que personne, jusque là, ne voyait. Elle même ne se sent pas vraiment malade, mais elle va maintenant se trouver devant une preuve concrète de son cancer. Non seulement il va falloir admettre que sa maladie se voie, mais elle refuse a priori d’avoir à s’affubler, dit-elle, d’une perruque qui sera encore plus évidente que le mal dont elle souffre. Elle pense que ça va être volumineux, pas joli, que mettre une perruque c’est se déguiser. Je lui présente des modèles, je lui montre des catalogues. Sur les photos on voit des femmes radieuses avec des cheveux plus vrais que nature. Je ne parle pas de « perruques » mais de « chevelures de remplacement ». Rien à faire, je n’insiste pas, nous allons nous orienter vers les turbans. Je lui dis qu’il n’y a pas de souci : elle pourra toujours revenir si elle change d’avis.
[…] La dame au foulard noué sous le menton s’est décidée, d’un commun accord avec son mari, pour deux turbans. On les a essayés devant la glace de la cabine. Il était grand temps de faire quelque chose, les cheveux étaient en mauvais état, il y avait des zones où ils avaient commencé à se détacher par plaques. Elle était ennuyée: elle n’avait pas pensé qu’il fallait prendre le temps pour une coupe. Mais j’avais un autre rendez-vous de programmé. Tant pis, je n’allais pas la laisser repartir comme ça, elle était prête à franchir le cap, c’était le jour. La personne suivante n’attendrait que quelques minutes. J’ai installé à nouveau la dame dans le fauteuil de la cabine, j’ai pris mes ciseaux et ma tondeuse. Elle est repartie au bras de son mari, coiffée d’un joli turban coloré.
[…] L’état général s’étant amélioré, une sortie d’hospitalisation a été décidée. Nous voici donc à nouveau à la maison avec plusieurs lignes supplémentaires sur l’ordonnance destinée au pharmacien, et des rendez-vous pour une nouvelle cure de radiothérapie. Dans le bac à douche, sur les oreillers, les cheveux tombent, d’abord épars puis par poignées.
La prothésiste capillaire comprend immédiatement la situation. Dans son « institut » tapissé de prothèses et de gravures engageantes, elle présente avec modestie ses plus beaux modèles de perruques. Elle n’insiste pas. Puisque mon épouse ne veut pas de cheveux artificiels, on se dirige vers les turbans. Essais. Sous le foulard, quelques mèches pendent tristement. Le tissu coloré les cache avec style. On se décide pour un modèle bleu et pour un mauve dont le ruban ajoute une note de coquetterie. […]
Pierre, accompagnant
Retour vers soigner le cancer 13/20 : Sandra, infirmière
À suivre, soigner le cancer 15/20 : Véronique, aide-soignante en oncologie –
Soigner le cancer, avant-propos par Pierre Madiot, présentation du livre à paraître aux Éditions de l’Atelier