[…] Ce que le cancer met en évidence, c’est la manière dont la société prend ou non en charge ceux qui sont dans la marge […] J’ai vu des malades au tempérament volontaire se retrouver complètement anéantis. D’autres, qui semblaient un peu dépressifs, ont trouvé un regain de vitalité ou d’envie de faire face. Ce qui compte alors, pour le patient, c’est de sentir le soutien de l’équipe de professionnels ainsi que celui de la famille et des proches. C’est un tout. Il va puiser de l’énergie auprès de chacun de ces deux pôles.
Au fond, le malade essaie de se replier sur une certitude: savoir qu’il existe pour lui-même, au-delà de la maladie. C’était le cas du cancéreux-suicidaire qui avait besoin de renouer avec sa fille et de s’assurer qu’il ne parlait pas dans le vide. Malgré la souffrance, malgré l’idée de la mort qui menace, avoir cette certitude qu’on a quelqu’un sur qui compter – et savoir qu’il est là – c’est ça qui donne de la force. Mon travail est de faire en sorte que les gens restent debout. Je n’aime pas le mot « aide » qui pourrait laisser supposer une attitude d’attente passive de la part du malade. En fait, les malades n’ont pas forcément envie qu’on les aide. Ils attendent plutôt un soutien pour leur permettre de rassembler leurs propres forces. Et puis, quand il n’y a plus besoin de moi, je me mets en retrait. Je me considère un peu comme une béquille : je suis là mais il faut qu’on puisse se passer de moi pour avancer ou, au moins, se tenir droit. C’est mon rôle de professionnelle que je m’efforce de jouer avec empathie dans le cadre d’un accompagnement qui n’est ni de l’amitié ni de la compassion … et encore moins de la pitié. L’idéal, c’est que je remplisse ma fonction aux côtés de la famille sans me substituer à elle. Les professionnels et la famille : ce sont les deux éléments indispensables pour accompagner au mieux la personne malade.
Marine, assistante sociale attachée à la clinique
Nous n’avons pas eu besoin des services de l’assistante sociale attachée à la clinique. Une autre, employée par l’Éducation nationale, a été chargée de gérer le dossier au moment où, en rémission, mon épouse a fait une demande pour reprendre son travail sous le régime du mi-temps thérapeutique. C’était visiblement une demande incongrue, voire déplacée… Comment une personne atteinte d’un cancer pouvait oser déranger l’administration pour user d’un droit qui, en l’occurrence, ne pouvait être que déraisonnable ? Nous imaginions-nous tous les tracas que mon épouse allait occasionner pour trouver le mi-temps complémentaire alors qu’elle pouvait rechuter à tout moment ? D’ailleurs, il fallait consulter la médecin-conseil du rectorat… Cette dernière nous a reçus dans son bureau encombré de paperasses. Elle a confirmé sans ambages : « Bien sûr, vous êtes en rémission… Mais, vous savez, avec le cancer que vous avez, il ne vous reste pas plus de deux ans à vivre… » Pas question d’envisager une reprise, même partielle, de la moindre activité professionnelle. Je ne sais plus si elle a ajouté : « Désolée… »
Pierre, accompagnant
Retour vers soigner le cancer 9/20: Émilie, pharmacienne hospitalière
À suivre, soigner le cancer 11/20 : Isabelle, secrétaire dans les unités d’oncologie et d’hos^pitalisation complète
Soigner le cancer, avant-propos par Pierre Madiot, présentation du livre à paraître aux Éditions de l’Atelier