[…] Curieusement, j’ai beaucoup plus affaire aux femmes qu’aux hommes quand il est question de cancer. Peu de messieurs viennent chercher les nombreux médicaments qui combattent les effets secondaires de la maladie. Je suppose qu’ils ont besoin de rester à distance s’il leur faut des crèmes pour leur peau abîmée par le traitement, ou du vernis pour leurs ongles cassants. Les hommes ne vont pas nous parler de leur peau.
Même quand les médecins ont prescrit aux messieurs des produits anti-émétiques ou des compléments alimentaires, ce sont encore les épouses qui s’en occupent. Je vois davantage les hommes au comptoir quand la maladie évolue et que leur compagne ne peut plus se déplacer. Mais, à l’annonce du cancer, ce sont les femmes qui se déplacent à la pharmacie pour elles-mêmes ou pour leur conjoint.
Je pense à une patiente qui a subi une ablation du sein suivie de séances de radiothérapie. Comme pour tous les gens à qui l’on annonce de mauvaises nouvelles, tout s’est d’abord effondré. Bien entourée chez elle et bien suivie à l’hôpital, elle n’a pourtant pas sombré et elle s’en est sortie. À chaque fois qu’elle venait à la pharmacie, elle trouvait le moyen de se confier un peu. Qu’il y ait du monde ou pas importait peu, elle n’hésitait jamais à parler ; et moi, j’écoutais, je rassurais. Quand ses cheveux ont commencé à repousser, elle me montrait à quel point ils étaient fins comme des cheveux de bébé. Je lui conseillais des shampoings spéciaux. On prenait notre temps. Elle repartait avec le sourire. […]
Ainsi va la vie de la pharmacie qui oscille entre bobologie et maladies graves, petits tracas et traitements lourds, menus potins et catastrophes de santé personnelles et familiales. Souvent, les épouses des malades du cancer ont également besoin de parler d’elles-mêmes parce que c’est dur aussi d’être accompagnant.[…]
Sabine, pharmacien de ville
À chaque fois que je vais à la pharmacie, j‘en ressors avec des sacs remplis de boîtes d’ampoules, de patches, de comprimés, de flacons, de tubes, etc. Chaque matin, c’est une douzaine de médicaments qu’il faut aligner sur la table, à côté du petit-déjeuner.
Les pharmaciens me connaissent, ils me demandent des nouvelles. Tant que mon épouse peut se déplacer, elle vient elle-même. Elle aime bien s’attarder auprès des préparatrices pour parler des effets de telle ou telle médication, pour tester une pommade, se laisser guider vers les rayons des produits dermatologiques. […]
Et pour montrer qu’elle fait face…
[…] La pharmacienne tient à nous donner, en plus, des échantillons de jus de fruit surprotéiné – des compléments alimentaires spécialement étudiés pour les patients nauséeux.
Aujourd’hui, je reviens seul… Mon épouse est trop fatiguée… Je rapporte les échantillons de jus de fruit : rien à faire, ça ne passe pas. La pharmacienne est désolée.
Pierre, accompagnant
Retour vers soigner le cancer 5/20 : Benoît, diététicien
À suivre, soigner le cancer 7/20 : Catherine, oncologue médicale
Soigner le cancer, avant-propos par Pierre Madiot, présentation du livre à paraître aux Éditions de l’Atelier