Que nous ont-ils appris ?

Une trentaine de textes en ligne, paroles de travailleurs au coeur de la crise sanitaire

Le 14 juin 2020, par la Compagnie Pourquoi se lever le matin !

Ce qui domine dans de nombreux récits, c’est une certaine fierté de se rendre utile dans le cadre de son activité, malgré l’adversité. Beaucoup de nos interlocuteurs font part de la sidération engendrée par les  premiers moments du confinement : manque de moyens de protection, chaos organisationnel… La plupart racontent comment ils ont réinventé au jour le jour leur manière de réaliser leur activité en raison d’un champ de contraintes hors du commun. Enfin, ils disent leur colère devant les injustices, leur incompréhension de certaines décisions qui heurtent la conception qu’ils se font de leur travail, leurs craintes pour l’avenir et leur sentiment de culpabilité vis-à-vis de ceux abandonnés “au front”. Une grosse moitié des narrateurs ont travaillé sur leur terrain. Pas le choix. Les autres ont travaillé à distance, une manière de travailler que la Compagnie Pourquoi se lever le matin se propose de creuser dans ce nouveau dossier sur le site. Rendez-vous donc ici pour de nouvelles aventures 

Voici notre annonce quand nous avons lancé notre site le Premier mai dernier : “ La moitié de la planète est confinée, et pourtant, on travaille ! Comment se débrouille-t-on pour faire son travail malgré tout ? Qu’est-ce que ça change ? Qu’est-ce qu’on invente ? Qu’est-ce que ça révèle de nos habitudes et notre cadre ordinaires de travail ? Qu’en restera-t-il ? Ces récits sont faits pour apporter l’éclairage du travail, aujourd’hui, et pour demain”

Nous avons sollicité des personnes qui ont accepté de raconter leur activité durant la crise sanitaire. Les “compagnons” ont mis en texte leur parole avec elles. Elles ont validé les textes, se reconnaissant ainsi  dans les récits présentés. Ces textes sont rédigés de manière à être  accessibles au plus grand nombre. Nos interlocuteurs sont divers, c’est le moins que l’on puisse dire. Ils ont des activités variées. Ils résident dans de nombreuses régions de l’hexagone.

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Merci à :


Nanon – magasinière, Arielle – sage-femme, Pauline – puéricultrice, Anne – prof en lycée pro, Sophie – vacataire, Antoine – étudiant, Hamza – technicien, Aymeril – expert en numérique, Sandra – employée dans la grande distribution et déléguée syndicale – Joumana – directrice d’une entreprise d’insertion, Philou – ambulancier, Blaise – conseiller RH dans les assurances, Claude – bénévole dans une association d’aide, Jean-Luc – monteur de clichés et secrétaire de CSE, Hélène – auxiliaire de vie sociale, Guillaume – journaliste, Raoul – employé dans un magasin d’alimentation bio, Joëlle – sommelière caviste, Pierre – Facteur en zone rurale, Malvina – animatrice d’ateliers théâtre, Lusi -préparatrice de commandes, Alice – musicienne, Quentin – réparateur de vélos, Guy – médecin du travail  …

Une trentaine de textes plus tard, publiés ou en cours, qu’avons-nous appris des  interlocuteurs contactés par les membres de la compagnie – tous bénévoles rappelons-le – en général à distance, souvent en visio, période oblige ? Suivez-nous dans nos étonnements ..

Ce qui domine dans de nombreux récits, c’est une certaine fierté de se rendre utile dans le cadre de son activité, malgré l’adversité.

Pierre, le facteur, voit accourir vers lui des usagers qu’il connaît depuis des lustres, sans avoir peur de contracter le virus qu’il pourrait être susceptible de propager, parce qu’il fait quasiment partie de leur famille. C’est sa fierté à lui de rendre visite à la dame de 95 ans, ce qu’il a toujours fait et continue à faire gratuitement, au nom du service public et pas d’un contrat rémunéré. Faire du chiffre, ça ne fait pas partie de sa conception de La Poste. Joëlle, la sommelière-caviste est aussi fière de “faire partie de ceux qui font tenir le système”. Les gens “sont contents que je sois là”, dit-elle avec la conscience de rendre un “service essentiel”. Raoul, employé dans un magasin bio, constate une estime réciproque entre les collègues du magasin et les clients, attachés depuis des années à un service qu’ils apprécient et qui perdure dans cette période spéciale. Joumana, directrice d’une entreprise d’insertion, nous raconte la fierté des jardiniers en insertion, conscients de contribuer à l’approvisionnement en nourriture de la population. Nanon, magasinière et cariste dans une usine de moteurs électriques, trouve soudain un sens à sa présence à l’usine en cette période où il serait plus prudent de rester chez soi quand, suite à son interrogation, son patron lui dit que les moteurs en fabrication sont destinés aux hôpitaux et aux laboratoires. Curieusement, celui-ci n’avait pas pensé à le dire aux salariés. Il faudra que Nanon lui fasse remarquer qu’il serait bien d’en faire part à l’ensemble du personnel présent pour qu’il communique l’information… 

Beaucoup de nos interlocuteurs font part de la sidération engendrée par les premiers moments du confinement: manque de moyens de protection, chaos organisationnel…

Malvina, animatrice d’ateliers théâtre pour adultes et enfants voit son univers s’écrouler d’un coup. Elle s’adresse immédiatement à ses interlocuteurs, des associations, pour construire  une solution : des cours en visio. Philou, l’ambulancier, transporte dès le début du confinement des malades atteints du Covid. Son équipement ? Très sommaire les premiers temps, et avec des désinfections du véhicule trop rapides en raison du rythme de travail imposé par le nombre élevé de malades à transporter, ce qui ne manque d’inquiéter ce “fragile des bronches”. Anne, prof de lycée professionnel, cherche à joindre ses élèves sans avoir leurs coordonnées électroniques personnelles, sans connaître leur équipement informatique et sans avoir été formée à l’utilisation des outils informatiques nécessaires à l’enseignement à distance. Hélène, auxiliaire de vie sociale, avoue avoir été obligée de laver des masques chirurgicaux “et de les repasser” afin de les porter deux fois, pénurie oblige…

La plupart racontent comment ils ont réinventé au jour le jour leur manière de réaliser leur activité en raison d’un champ de contraintes hors du commun.

Alice, musicienne multi-instrumentiste des Ogres de Barback raconte comment le groupe a réalisé à distance, chaque musicien étant confiné chez lui, une version originale de leur chanson « A vous la terre ». Malvina arrive à faire travailler sur Zoom des groupes de huit à douze élèves par cours : maternelles, primaires, collégiens et adultes. Elle prépare un spectacle en ligne de fin d’année scolaire. Elle n’avait quasiment pas fait de visios auparavant. Pour Raoul, le magasin bio où il travaille a organisé rapidement une nouvelle manière d’accueillir les clients, en laissant des plages horaires suffisantes au personnel pour préparer les rayons. Après le rush de départ, les clients semblent avoir compris qu’il n’est pas nécessaire de stocker (sauf une restriction rendue obligatoire pour la farine…). Guillaume, le journaliste web, dirige ses équipes de chez lui et produit plus d’articles qu’habituellement – avec des interviews souvent réalisées par Skype –  tout en gardant le contact en visio avec ses collègues parce que “c’est important de se voir”. Il considère que le recoupement des informations est plus que jamais nécessaire dans cette période. Le rôle de valideur de textes du rédacteur en chef prend ici toute sa force. Jean-Luc, le monteur de clichés, nous dit que le rythme de travail s’est accru et qu’il a fallu passer de 3 à 4 équipes parce qu’il a fallu pallier l’arrêt des imprimeries de l’Est touchées de plein fouet par l’épidémie. Fournir en emballages la grande distribution et l’industrie pharmaceutique était une priorité incontournable. Claude, qui a repris du service comme bénévole à France Alzheimer depuis le confinement, a dû trouver des astuces pour alerter les bons professionnels afin de permettre à des aidants aux prises à des difficultés terribles (violence du conjoint) de faire face à des situations aggravées par l’enfermement forcé. Blaise, conseiller RH, remarque que les 250 managers de Groupama ont dû affronter une situation totalement nouvelle : toute l’entreprise en télétravail. Même si certains salariés en avaient la pratique, à leur demande, quelques jours par semaine, le télétravail non prévu tous les jours et par tous, ça n’a rien à voir. Pour lui, ça change les représentations de l’entreprise. Par exemple, les commerciaux, qu’on n’imaginait pas jusqu’ici travaillant à distance, devront être managés autrement dans l’avenir afin de leur laisser la marge d’autonomie qu’ils ont su développer dans cette période de télétravail. Aymeril, expert numérique de haut niveau, qui s’est mis à la disposition de l’Etat pour inventer une application de suivi des personnes positives et de leurs contacts a beaucoup travaillé en mobilisant un réseau connu de lui afin de  proposer une technique respectueuse des libertés. Faire travailler ensemble ces experts a été son challenge. Hamza, technicien en signalisation tramway, a expérimenté le chômage partiel tournant suite à une concertation collective… du jamais vu dans l’histoire sociale. Dans le but louable de partager les risques de contamination dans une situation de réduction de la circulation des tramways. Pour Antoine, étudiant en classe préparatoire aux Beaux-Arts, le confinement est une contrainte, plus de cours, mais ça favorise la créativité. Les écoles ont imaginé de nouvelles formules pour les concours d’entrée, qui mettent à l’épreuve les capacités innovatrices et imaginatives des candidats. Et les profs, contactés en visio, se transforment en coachs personnels pour aider leurs étudiants à réaliser les travaux demandés. “Le confinement, ça aura été une période où je me serai épanoui”, confie-t-il. Sophie, vacataire à l’Université, a dû modifier sa façon de travailler avec ses  30 étudiants sur des enquêtes de terrain. Sans temps de rencontres communes, pas facile. Les réunions en visio, à partir d’applications proposées par les étudiants -devenant les enseignants de l’enseignante – ont permis de compenser un peu le manque de présence physique. Ça prend un temps fou, dit-elle, mais les étudiants se sont finalement rapprochés de l’enseignante à cette occasion. Anne, la prof de lycée, plutôt rétive aux voies électroniques, a créé un groupe WhatsApp très fréquenté par certains élèves… “On bidouille”, avoue-t-elle. Arielle, sage-femme hospitalière, a dû s’adapter à la reconfiguration de son hôpital pour accueillir les malades Covid et essayer de comprendre les nouvelles normes de sécurité sanitaire dans un contexte de temps limité par le travail au quotidien. Bénéfice de l’interdiction des visites pendant la crise, les mamans qui viennent d’accoucher sont plus sereines, et le personnel également. Une “découverte” de la crise qui pourrait se pérenniser… Pauline, notre puéricultrice hospitalière, a profité du report des interventions non urgentes pour nouer de nouveaux contacts avec ses petits patients et avec leurs parents, un peu écartés de l’hôpital pour raison de sécurité (un seul parent par jour) en les aidant plus que d’habitude. Nanon, la magasinière cariste, travaille “avec deux boules au ventre”. En effet, d’une part, elle fait le travail de deux personnes-et-demi et, d’autre part, elle craint la contamination car ses collègues ne portent pas leurs protections. Elle est stressée et fatiguée mais ne dit rien parce qu’enfin en CDI. Elle “a été virée deux fois” pour avoir parlé trop haut.

Enfin, ils disent leur colère devant les injustices, leur incompréhension de certaines décisions qui heurtent la conception qu’ils se font de leur travail, leurs craintes pour l’avenir et leur sentiment de culpabilité vis-à-vis de ceux abandonnés “au front”.

Alice, la musicienne, a la chance d’appartenir à un ensemble musical qui a du succès et “tourne” en permanence habituellement. Mais, en ce moment, elle angoisse. Si les spectacles ne reprennent pas à la rentrée de septembre, comment faire pour payer les deux salariés-et-demi du groupe ? Comment payer les traites du camion ? Son mari étant dans le même métier et lui aussi à l’arrêt, faut-il chercher du travail ailleurs ? s’interroge-t-elle. Lusi, étudiante et assistante en préparation de commandes dans un supermarché alimentaire qui vend exclusivement sur Internet, découvre le travail dans de drôles de circonstances… où le soir il faut laver le masque unique, qui coûte cher, lui a-t-on fait remarquer. Son témoignage de découverte du “travail ordinaire” est terrible : un univers placé sous la double contrainte de la machine et de “petits chefs” dotés d’un bras prolongé par un ordinateur qui vérifient les commandes. Et puis, le racisme. Contrairement au sien, personne ne connaît le prénom de sa collègue qui est aussi sa co-locataire. On lui dit à peine bonjour et on la forme mal. On l’insulte. Elle est métisse… Et puis le sexisme pour les deux jeunes filles. Victime du Covid, Lusi est mise en arrêt de travail et se débrouille pour ses indemnités. Sa collègue, vivant dans le même appartement, estime devoir s’abstenir d’aller au travail. A leur retour, on demande à peine à Lusi comment elle va et sa collègue, qui n’a pas fait de démarche d’indemnisation, n’est pas payée pendant son absence. Bien triste première expérience du travail. Philou, l’ambulancier, a été arrêté par son médecin en raison de sa fragilité, puis il s’est mis en chômage technique car il craint la contamination en raison de la mauvaise désinfection de son camion.  Il en développe une culpabilité: “Je crains pour mes collègues qui sont au boulot, et ce qui va arriver après. Mon corps est en vacances, mais la tête n’y est pas.  J’ai l’impression de me sauver et d’envoyer les autres “au casse-pipe”. Sophie, vacataire à l’Université, a été choquée: un étudiant, sans moyen de communication électronique, a voulu récupérer un ordinateur chez un réparateur. La police l’a contrôlé. Sans justificatif, il a été renvoyé chez lui. Sophie avait pourtant demandé à l’Université de fournir une attestation…

La Compagnie Pourquoi se lever le matin ! Le 14 juin 2020

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