La moitié de la planète s’est trouvée confinée en 2020, et pourtant, on a continué à travailler ! Comment s’est-on débrouillé pour faire son travail malgré tout ? Qu’est-ce que ça a changé ? Qu’est-ce qu’on a inventé ? Qu’est-ce que ça a révélé de nos habitudes et notre cadre ordinaires de travail ? Qu’en restera-t-il ? Ces récits ont été faits pour apporter l’éclairage du travail, aujourd’hui, et pour demain.
Corine, directrice du Centre Associatif de Vénissieux
Parole du 3 juillet 2020, mise en texte avec Martine et Christine
Quand le confinement est arrivé, les huit salariés du Centre sont passés prendre ce dont ils avaient besoin pour travailler : nos ordinateurs portables et des dossiers sur nos clés USB. L’un de nous a emporté le serveur fixe chez lui, pour gérer les envois de dossiers. Je me demandais bien quelles activités nous pourrions mener avec les associations si tout était fermé.
Lorsque je commençais une séance de classe virtuelle, les noms des élèves connectés s’affichaient sur mon écran. Je leur avais envoyé le lien sur la messagerie du logiciel « Pronote »[1]. Ils n’avaient plus qu’à rejoindre la session que j’avais moi-même ouverte et dont je maîtrisais les paramètres. Je n’ai jamais utilisé la fonction qui permet de voir les interlocuteurs à l’image. Dans une classe à distance, depuis mon domicile, activer la vidéo aurait eu pour effet d’incruster mon travail dans le décor de ma vie personnelle.
Camille, ingénieur dans une installation nucléaire
Parole du 3 juillet 2020, mise en texte avec Roxane
Je suis ingénieur travaux et à ce titre, je participe aux opérations d’assainissements de démantèlements d’un réacteur graphite gaz (ancienne génération), sur les phases de cadrage de besoin, de consultation et de suivi des entreprises. Comme tout démantèlement, cela doit se faire en respectant les règles du code du travail et du code de la santé publique. Mais en plus, la problématique radiologique accentue les obligations et la minutie du suivi des différents chantiers.
Parole du 15 juillet 2020, mise en texte avec Roxane
Dans la banque où je travaille – 5500 employés dont 3600 en France – mes clients sont des grandes entreprises, entre autres de la grande distribution, de l’énergie-chimie, des loisirs et médias, de la distribution de luxe. En tant qu’assistante commerciale, je navigue entre deux pôles essentiels : les commerciaux et les clients. Je suis le point d’entrée des appels de la clientèle. Dans notre service, je tiens à le dire, les appels arrivent directement sur mon bureau et non sur une plate forme téléphonique. C’est notre point fort. Si c’est un problème, une question sur le suivi quotidien de leur compte, j’y réponds. Untel m’appelle pour avoir la confirmation d’une opération urgente, il ne comprend pas une opération sur son compte… je mets à jour leurs dossiers et j’ai une vue globale sur la clientèle. C’est un suivi administratif primordial. Mais si le client veut du nouveau matériel, s’il a besoin de maintenance… alors je le renvoie auprès du commercial concerné.
Pierre, syndicaliste dans la fonction publique territoriale
Paroles du 2 juillet 2020, mises en texte avec Martine
Je travaille à la voirie pour le Département du Rhône, je suis secrétaire-adjoint du syndicat CGT, je siège à la Commission Hygiène, Sécurité et Conditions de Travail (CHSCT) et en Commission Administrative Paritaire des catégories C (CAP C). Je suis aussi référent route pour la région Auvergne-Rhône-Alpes au syndicat CGT de la Fonction Publique Territoriale, à Paris. Je pense que le télétravail c’est politique.
Julia, gestionnaire du personnel à la DRH d’un Conseil Régional
Parole du 7 juillet, mise en texte avec Martine
Je travaille à la DRH au Conseil Régional Auvergne-Rhône-Alpes depuis 2008, je suis gestionnaire du personnel des directions de l’économie et du tourisme. Je gère aussi les personnels non enseignants, c’est à dire les personnels techniques (agents d’entretien, cuisiniers, ouvriers en maintenance…) des lycées de la Loire, principalement, et celui de La Duchère, à Lyon.
J’ai un profil un peu particulier. Après Sciences Po., j’ai fait un DEA de sociologie politique et un mémoire sur l’emploi des jeunes sous la direction d’un économiste. Comme le courant est bien passé, j’ai obliqué vers un DEA d’économie pour pouvoir faire ma thèse avec lui. Je suis ainsi devenu « économiste » par hasard. Ce qui m’intéresse, ce sont les objets plus que les prismes disciplinaires. Aujourd’hui j’appartiens à un labo où la sociologie domine et je m’y sens très bien. On pourrait me qualifier de « socio-économiste », mais j’aime bien dire que je suis simplement « chercheur en sciences sociales ».
Pendant ces mois de confinement, je me levais un peu plus tard que d’habitude vers 8 heures 30. Je déjeunais, m’habillais comme si j’allais à mon lycée, je ne passais pas la journée en pyjama… J’assistais aux cours puis je mettais à plat ce que l’on avait abordé et j’avançais ensuite sur le travail à faire. Après le déjeuner, je faisais une petite pause puis je me remettais au travail en milieu d’après-midi mais aussi parfois après le diner.
Bruno, responsable d’audit dans le secteur financier
Parole du 3 juillet, mise en texte avec Jacques
Je suis responsable d’audit dans le secteur financier. Je couvre un périmètre constitué d’une quinzaine de pays, le plus souvent dans des pays émergents. Mon job principal c’est de piloter, animer et coordonner les équipes d’audit dans ces différents pays. J’ai aussi en charge la supervision de missions d’audit réalisées et dont le « terrain de jeu » est international. Ils sont “multi-pays” et “multi-métiers” et travaillent sur demande de la Direction générale. Enfin, comme membre du comité de Direction, je contribue au pilotage stratégique et opérationnel de l’activité dans de nombreux domaines. L’essentiel de mon activité c’est de suivre des équipes d’audit qui sont à l’étranger. Donc, c’est du téléphone, des mails et de la visio.
Professeur des écoles depuis janvier 2006 et après différents postes dans Paris, depuis sept ans, j’ai une classe associant 24 « petits et grands » dans une école située dans le nord de Paris près de la Porte d’Aubervilliers. C’est une école polyvalente : maternelle et élémentaire ; une école où il y a énormément de projets et notamment entre collègues de maternelle. Nous sommes quatre : trois femmes et un homme. Nous échangeons beaucoup, nous sommes de la même génération et depuis plusieurs années en poste dans cette école.
Mon petit garçon a six ans et demi et est en CP dans une école près de notre domicile. Mon compagnon est responsable de production dans une boîte d’informatique ; il fait des horaires à rallonge. Pendant le confinement, il était en télétravail de 9 heures à 19 heures, s’arrêtait juste pour le déjeuner. Cela a été un peu compliqué, il ne fallait pas faire de bruit car il était presque tout le temps en visioconférence avec son équipe. Or, je devais aussi m’occuper de notre fils, l’aider dans ses leçons et lui proposer des activités.
Je n’ai jamais cessé le travail pendant le confinement. En regard de ce temps-là, nous avons beaucoup plus de facilité à obtenir les masques, chacun, chacune de nous a son quota à récupérer au bureau. Quant aux gants nous avons quelques problèmes encore de livraison. Tout ce matériel n’est pas obligatoire pour les personnes qui font de l’Aide à Domicile. Pour nous, auxiliaires de vie, qui sommes au plus près des personnes pour les levers, les couchers, les toilettes, les douches, masques et gants sont obligatoires. Mes mamies et papis n’ont pas beaucoup changé d’attitude.
Philippe ambulancier, sujet fragile qui transportait des malades Covid, avait pris un congé maladie. Il a repris son travail et son entreprise profite du chômage partiel. Il transporte toujours du covid mais avec moins de crainte aujourd’hui, car la désinfection du véhicule est beaucoup mieux faite.
Martine, animatrice d’ateliers d’écriture … par mail pendant le confinement
Parole du 17 juin mise en texte avec Jacques
Pendant le confinement, un élu d’une commune où j’avais animé des ateliers m’a dit : “Est-ce que vous seriez d’accord pour animer des ateliers en ligne avec des logiciels comme Zoom ou autre ?” Je lui ai répondu que oui, même si je ne l’avais jamais fait. J’ai alors proposé d’organiser des ateliers plutôt par mails. Finalement, ça ne s’est pas fait. Mais l’idée a germé. Et j’ai proposé des ateliers à distance, mais par mails, à LADAPT, une association de reclassement professionnel pour des personnes ayant la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH), pour laquelle je fais des ateliers d’écriture habituellement. La directrice de l’association a trouvé l’idée formidable.
Zoé, chef de service dans une ONG internationale, représentante du personnel
Parole du 24 juin mise en texte avec Jacques
Je suis chef de service à Paris dans une dans une ONG internationale. Mon poste se répartit en trois activités : un suivi administratif et logistique, l’accompagnement des bénévoles et le développement d’offres de mobilisation autour de projets concernant le soutien à des personnes. Concrètement, comme je suis chef de service j’encadre quatre personnes et je dois donc discuter avec elles de leurs propres projets. Je fais aussi beaucoup de relationnel pour accompagner les bénévoles qui ont des personnalités très diverses. Enfin, je coordonne des projets moi-même. Au total, ça consiste à faire beaucoup de réunions, entre 4 et 6 heures par jour, surtout avec les salariés des différents services de l’association. Ça suppose de bien connaître les métiers des uns et des autres puisque la coordination de projet consiste à s’assurer de la complémentarité des actions des différentes parties prenantes. Je dois assurer beaucoup de réunions de management qui sont un mélange d’information et de communication, de 5 à 8 heures par semaine. Je suis aussi représentante du personnel et je fais souvent le tour des services pour voir qui va bien et qui ne va pas bien. J’ai des heures de représentation.
Alfred, responsable d’un service d’économie agricole dans la fonction publique de l’État
Parole du 12 juillet, mise en texte avec François
Cadre de la fonction publique de l’État, je suis actuellement responsable d’un service d’économie agricole dans une direction départementale des territoires, c’est un service déconcentré interministériel. Auparavant, j’ai été le secrétaire général de cette même structure. Avec cinq cadres intermédiaires, j’ai donc en responsabilité entre trente et quarante personnes. Ce chiffre varie dans l’année en fonction des missions du service et plus particulièrement de la gestion des aides de la politique agricole commune (PAC) pour laquelle nous recrutons des vacataires pour conforter les équipes de titulaires.
Sophie, employée dans une agence de voyages d’affaire
Parole du 19 juin, mise en texte avec Roxane
J’ai déménagé au tout début du confinement. C’était prévu. J’habite à une cinquantaine de kilomètres de Lyon. Depuis octobre j’avais commencé le télétravail, en accord avec mon employeur : 3 jours par semaine et 2 jours sur Lyon en open-space. Ce sont de grands bureaux ouverts où je suis en contact direct et permanent avec une quarantaine de personnes qui font toutes le même métier : organiser des voyages. Le 17 mars tout a été arrêté, les bureaux ont fermé. On a quitté l’agence assez rapidement.
Claire, médecin généraliste en banlieue sud de Lyon
Parole du 24 mai 2020, mise en texte avec Martine
Pendant le confinement dû à la crise sanitaire du Covid, j’ai perdu mes collègues de travail, les paramédicaux ne travaillaient plus et j’étais complètement seule à l’étage de la maison de santé. J’offrais la même disponibilité horaire qu’avant, c’est-à-dire quatre demi-journées et une journée complète. Au départ, les consultations ont complètement été désertées par les patients. J’ai eu des semaines avec vingt personnes au lieu de 60 à 70 en période normale. J’en ai profité pour remettre la pharmacie à flot, réalimenter le cabinet en matériel. Ça été l’occasion de ranger les papiers. Je me suis occupée du fonctionnement du cabinet. J’ai aussi relu ou mis à jour des dossiers un peu compliqués. J’ai cherché des formations. Tout ce que l’on n’a pas toujours réellement le temps de faire en « période normale ». Ça, c’était plutôt positif.
Véronique, responsable d’un service de gestion des payes en sous-traitance
Parole du 15 juin 2020, mise en texte avec Roxane
Quelque jour avant le 17 mars nous devions partir en voyage à Ténérife. Pressentant les évènements, nous avons décidé d’annuler. On a bien fait, le président Macron annonçait le confinement dès le mardi 17 à midi. Le lundi, j’ai décidé d’aller travailler au bureau, à la grande joie de mes patrons. Je suis responsable d’un service de gestion des paies, en sous-traitance pour différentes entreprises clientes, et par là, la gestion du personnel, des contrats de travail, des licenciements ou des ruptures … Chacune de mes 11 collaboratrices et moi avons récupéré une clé USB auprès des informaticiens. À tour de rôle, nous avons installé le logiciel « paie », chez nous. Ce fut facile, les dossiers sont dans le « Cloud ». D’une heure à l’autre on s’est retrouvées en télétravail sans être préparées à ça. Là, ça s’est compliqué !
C’est à la veille du déconfinement, le 10 mai, que je suis partie en Bourgogne munie de moult dérogations et pièces d’identité pour aller chercher mes deux petits enfants. J’allais vivre avec eux une quinzaine de jours, pour permettre à leur parent de travailler.
Frédéric, responsable marketing dans une société informatique
Parole du 6 mai 2020, mise en texte avec Roxane
Avant le 17 mars, au début de l’épidémie, ceux qui avaient des enfants pouvaient rester à la maison et les autres travailler sur place. Mais à partir du 17 mars, jour du confinement les bureaux ont été fermés et tout le monde a dû s’installer à la maison.
Le début était un peu nouveau. On a commencé par notre réunion hebdomadaire du mardi après-midi, pour justement parler de l’impact du confinement, comment on voit les choses, comment ça s’est passé et pour recréer un peu de lien. C’est une très bonne chose ça permet une reprise en douceur, de ne pas se plonger directement dans les dossiers. La salle est grande, on est loin les uns des autres pour respecter les gestes barrière On a eu aussi une séance d’analyse de la pratique qui a porté sur le confinement. Et on a organisé deux recrutements.
Le 11 mai, avec la levée du confinement, j’ai été très content de reprendre des activités en présentiel, visites médicales au cabinet et visites des locaux. Ce contact humain est absolument fondamental. Nous parlions souvent des téléconsultations avec mes confrères, avant la crise. Ça peut être utile en cas de déserts médicaux, ou dans des situations particulières où le médecin du travail n’est plus là et où le confrère qui prend le relais est à deux-cents kilomètres.
Il y a eu plusieurs projets de plans de déconfinement à l’Éducation Nationale. Moi, j’étais d’accord pour reprendre si les barrières sanitaires étaient respectées et qu’on nous donnait des moyens. Très vite, le lycée a essayé de recenser les lycéens qui seraient d’accord pour revenir. Finalement, on a décidé de ne faire revenir que ceux qui risquaient de ne pas avoir leur examen pour les booster un peu pour le rattrapage de début juillet. On a aussi cherché à rattraper les lycéens en difficulté pour les sortir de chez eux et leur expliquer par exemple les gestes barrière.
J’ai eu tous mes résultats de concours. J’ai été reçu à Brest, Lorient, Quimper, Rennes, Montpellier, Lyon, Nice et Mulhouse. Je n’ai pas eu Cergy-Pontoise et Strasbourg. Pas grave. Pour Berlin j’ai fait une erreur administrative et ils n’ont même pas examiné mon dossier. Finalement je ne regrette pas.
Tiphaine, psychomotricienne et instructrice de locomotion
Parole du 16 avril 2020, mise en texte avec Martine et Christine
Pendant les grèves des transports en décembre – janvier, je pouvais marcher jusqu’à 1h30 pour me rendre d’une école à une autre. Avec le Covid, on a enchaîné sur une autre galère ! Je suis psychomotricienne et instructrice de locomotion dans une équipe pluridisciplinaire où nous suivons 70 enfants de zéro à vingt ans, en nous déplaçant sur leurs lieux de vie, crèche et établissements scolaires, parfois à domicile.